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Culte du dimanche 14 juin 2015
prédication du pasteur Marc Pernot
L'Ecclésiaste nous encourage à agir : « Lance ton pain à la face des eaux », dès le matin sème ton grain, et le soir essaye encore autre chose... Pourtant il reconnaît qu’il y a bien des raisons de rien entreprendre :
Trois vraies raisons de ne rien faire, mais vu sous un autre angle, il y a là autant de bonnes raisons d’agir, nous dit l’Ecclésiaste dans son témoignage qui nous vient du fond des âges.
« Lance ton pain à la face des eaux,
car dans la multitude des jours tu le trouveras. » (v.1)
Certains y voient un appel à la générosité : en partageant avec un pauvre aujourd’hui, peut-être que demain cette personne sera devenue riche, elle se souviendra de cette bouchée de pain reçue 30 ans avant et te sauvera d’une situation désespérée. C’est possible, mais il n’y a pas beaucoup de chance, et de toute façon, ce ne serait pas joli d’agir selon ce calcul, le pauvre n’est alors pas respecté et c’est encore s’aimer soi même que d’agir selon cette logique.
D’autres voient dans ce texte un appel à la générosité avec un bénéfice plus large : en donnant de mon pain aujourd’hui à un affamé, je fais un peu de bien à l’humanité ce dont nous profiterons tous. C’est déjà plus vraisemblable. Et au moins cette philosophie s’intéresse à la personne que l’on aide comme étant un digne représentant de l’humanité. Mais cela ne correspond pas exactement à ce que dit le texte, car il n’y a pas écrit de donner au pauvre mais de le jeter à la surface de l’eau. Il faut donc chercher plus loin que ce sage petit conseil moral, très juste au demeurant.
Il est possible de voir ce conseil comme signifient de donner notre pain matériel pour trouver le pain spirituel, de nous libérer de notre trop grand attachement aux choses et à la vie matérielle pour privilégier les réalités supérieures.
Le don est alors un exercice spirituel, le bénéfice pour nous est dans le fait d’avoir remporté une victoire intérieure, mettant en ordre notre propre façon d’être. Cette lecture est bien cohérente avec l’Évangile du Christ, avec le célèbre « l’humain ne vivra pas de pain seulement » ou son « cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et toute chose vous seront données en plus ». Le bénéfice est immense, qualitativement, permettant de dépasser les trois raisons de se décourager citées par l’Ecclésiaste.
Cela nous libère d’une conception de l’humain qui nous paralyse et nous tue. Car nous habituer à penser notre grandeur en terme matérialiste :
S’ils avaient vécu comme cela, Moïse ne serait pas levé pour sauver son peuple des griffes du Pharaon, il ne se serait pas avancé pour traverser la Mer Rouge entre deux murailles d’eau, David ne se serait pas levé contre Goliath, Jésus serait resté dans l’atelier de Joseph, et Paul n’aurait pas fait demi-tour sur le chemin de Damas.
S’ils se sont lancés, c’est qu’ils mettaient leur assurance ailleurs, en Dieu. Et cela leur a inspiré une certaine façon de comprendre la vie. Cela ne veut pas dire que cela leur a apporté la prospérité, comme le prétendent des églises « évangéliques » exploitant leurs fidèles en leur disant que Dieu donne la prospérité à ceux qui sont généreux ou qui prient assez fort. Il n’est pas question de cela dans la Bible, la foi ne porte pas chance. Dans un tremblement de terre meurent côte à côte des justes et des injustes, des croyants et des athées. Et parmi les héros bibliques, il y a des Abraham, Jacob ou David qui se portent très bien financièrement, et il y a des Moïse, Jésus ou Paul qui perdent tout. Mais ce pain qu’ils reçoivent dans la multitude de jours de leur vie quotidienne, c’est d’avoir quelque chose de plus profond qui rend la vie belle et source de vie, qui rend le bonheur possible, et qui permet de se relever quand cela ne va pas.
Nous pouvons donc lancer notre pain comme un exercice spirituel utile. Sur ce plan, le bénéfice serait le même si nous jetions à la Seine notre pain ou nos bijoux. Mais il ne peut en être question dans la perspective chrétienne, car si l’homme ne vit pas de pain seulement, il vit de pain aussi, et il existe des pauvres qui ne mangent pas assez bien.
C’est là qu’il convient d’adopter un double éclairage, sur notre vie, comme le suggère l’Ecclésiaste :
« La lumière est douce,
et il est bon pour les yeux de voir le soleil. » (v.7)
Il faut les deux lumières pour à la fois jeter notre pain mais ne pas le gaspiller, le convertir en ouverture à Dieu par la gratuité de notre don, mais aussi construire ainsi quelque chose de bon.
Ce n’est donc pas vraiment un détachement du monde qui est proposé, mais un attachement différent, un attachement à la source du monde. Ce n’est pas non plus un détachement de soi-même mais un attachement à plus que soi-même, plus large, plus profond et plus élevé. Ce n’est pas vraiment ne plus avoir peur, ce serait de l’inconscience, mais que ce ne soit pas la peur qui règne sur nous mais un souffle de cheminement et de vie (v.4).
Je pense que c’est là une des leçons de ce texte de l’Ecclésiaste, mais il y a manifestement quelque chose de plus original, de plus fin dans ce texte. Et encore une fois, pour le saisir, il faut connaître un peu les grands textes fondateurs de la Bible.
« Lance ton pain à la face des eaux »
Cette expression « à la face des eaux » est une des plus célèbres de la Bible puisqu’elle est dans les premières lignes de la Bible. Les eaux sont ici un symbole du chaos de l’univers. Dieu commençant à créer le monde en lançant son Esprit à la face du chaos.
Ce que nous dit l’Ecclésiaste, ce qu’il nous conseille c’est d’être à l’image de Dieu créant le monde. Rien de moins. Et selon lui c’est possible puisqu’il nous conseille de le faire. Cela nous dit quel type d’action nous pouvons avoir face au chaos. Parfois, la Bible nous présente Dieu créant avec ses mains comme un potier donne forme à l’argile. Il y a une violence dans ce geste car l’argile n’a pas les moyens de résister. Par contre dans le texte cité ici par l’Ecclésiaste, Dieu crée, mais tout en douceur par son souffle et par sa parole. On peut résister à un souffle de vent. On peut ne pas écouter une parole, on peut ne pas l’accepter, on peut dialoguer face à face. C’est comme cela que Dieu agit, nous disent ces textes, et nous sommes appelés à être à son image.
Comme Dieu, nous sommes face au chaos du monde, face à cette incertitude qui fait que nous ne savons pas ce qui peut arriver demain.
La première réaction est d’être paralysé de peur et de ne rien faire. On peut trouver mieux, nous dit l’Ecclésiaste.
La seconde solution est d’utiliser sa tête et son travail : multiplier les tentatives de bien faire, semer de différentes façons à différents endroits, à différents moments... statistiquement, ça finira bien par produire quelque chose. Comme on dit : quand on essaye quelque chose d’incertain, il y a des fois où ça marche, et il y a des fois où l’on apprend.
Mais le conseil de l’Ecclésiaste « Lance ton pain à la face des eaux » promet un succès qui est plus que statistique, un succès certain malgré l’incertitude : ton pain, « dans la multitude des jours tu le trouveras ». C’est aussi certain que quand un nuage est plein d’eau, on ne sait pas exactement quand et où, mais il finira bien par se vider de son eau et féconder la terre.
« Lance ton pain à la face des eaux »
Face à l’incertitude et malgré nos forces limitées, lancer son pain. Qu’est-ce à dire ? Ce n’est évidemment pas à prendre au sens premier, car jeter du pain aux canards n’est pas un rite magique faisant reculer le chaos du monde. Mais le sens figuré du pain est très classique dans la Bible. Le pain étant l’aliment de base par excellence, il est une image de ce qui est source de vie. Par exemple de la Parole de Dieu est comparée à un pain, la Bible est comparée à un pain, le Christ est appelé le pain de vie dans l’Évangile selon Jean. Mais le pain c’est aussi une image de notre vie éternelle, qui, elle aussi, est source de vie. Tout le processus de fabrication du pain évoque dans la Bible le parcours de notre existence avec Dieu.
Toutes ces étapes, nous les retrouvons ici, dans le texte : semer, la pluie et le soleil qui font pousser, moissonner, l’Esprit de Dieu donné comme un chemin de vent et de vie mystérieux... « Ton pain » est ainsi l’enfant de Dieu en toi, en chacun, c’est notre bon génie propre, éveillé par Dieu et à qui il a donné des pouvoirs divins, c’est quelque chose de vivant et de pur qui existe au fond de nous et qui peut donner la vie dans toutes ses belles dimensions.
Que veut dire alors de « lancer son pain à la face des eaux » ? Cela veut dire lancer le meilleur de nous mêmes, et même plus que cela, lancer notre part divine, éternelle, car c’est cela qui est vraiment créateur.
Lance ton pain à la face des eaux...
Donnes en une part à sept et aussi à huit.
Dans la multitude des jours, le 7e et le 8e évoquent quelque chose :
L’Ecclésiaste nous encourage à lancer notre pain à la face du chaos du monde dans la multitude des jours sans oublier le 7 et le 8 « car tu ne sais pas quel malheur sera sur la terre ». Travailler de toute notre créativité, de toute notre foi, à rendre ce monde plus vivable et plus juste selon les 6 premiers jours de la création et mettre aussi une bonne part de créativité, d’implication du meilleur de nous même sur ce qui est de l’ordre de la bénédiction et de la vie éternelle. Car c’est cela qui tient le tout ensemble, et promet le pain de demain.
Notre Père, donne-nous notre pain...
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot.
Lance ton pain à la face des eaux,
car dans la multitude des jours tu le trouveras.
2 Donnes une part à sept et aussi à huit,
car tu ne sais pas quel malheur
sera sur la terre.
3 Quand les nuages sont pleins de pluie,
ils la répandent sur la terre;
et si un arbre tombe, au sud ou au nord,
il reste à la place où il est tombé.
4 Celui qui observe le vent
ne sème pas,
et celui qui regarde les nuages
ne moissonne pas.
5 Comme tu ne sais pas
quel est le chemin du vent,
ni comment se forment les os
dans le ventre de la femme enceinte,
tu ne connais pas non plus l’œuvre de Dieu qui fait l’ensemble.
6 Dès le matin sème ton grain,
et le soir ne laisse pas reposer ta main;
car tu ne sais pas où cela réussira,
si c’est ceci ou cela,
ou si l’un et l’autre sont également bons.
7 Et la lumière est douce,
et il est agréable aux yeux de voir le soleil.
8 Mais si un humain vit de nombreuses années,
qu’il se réjouisse pendant toutes ces années,
et qu’il se souvienne des jours de ténèbres qui sont nombreux.
Tout ce qui arrive est comme une buée.
1Au commencement,
Dieu créa les cieux et la terre.
2 La terre était informe et vide;
il y avait des ténèbres à la surface de l’abîme,
et l’Esprit de Dieu se mouvait à la face des eaux.
3 Dieu dit: Que la lumière soit! Et la lumière fut.
4 Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d’avec les ténèbres.
5 Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin: ce fut le premier jour.
6 Dieu dit: Qu’il y ait une étendue entre les eaux, et qu’elle sépare les eaux d’avec les eaux.
(cf. Traduction NEG)