(écouter, écouter le culte, imprimer la feuille)
23 juin 2024 au temple de Vandœuvre
prédication du pasteur Marc Pernot
Jésus dit : « À qui donc comparerai-je les humains de cette génération ? » C’est une question à la première personne : cela nous invite à nous poser personnellement la question, à ouvrir les yeux sur notre génération, à chercher à l’analyser, la comprendre.
Comme toujours avec Jésus, le regard qu’il porte est lucide, critique, et pourtant toujours bienveillant comme peut l’être un médecin au chevet de toute personne qu’il examine.
Regarder : c’est déjà s’intéresser aux autres, et pas seulement à soi-même, c’est essentiel.
« Cette génération » : c’est la génération présente que nous regarderons, celle de 2024, cette génération à laquelle nous appartenons tous, jeunes et vieux, ensemble. Chacun est légitime pour avoir son regard, son analyse, puis à croiser nos regards comme le fait Jésus quand il se prête à cet exercice à haute voix.
« Les humains de cette génération » : Jésus ne dit pas seulement regardons l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui, il regarde les humains : c’est chacun des membres de l’humanité qui importe, même quand on s’intéresse à l’ensemble. En parlant de « génération », Jésus regarde l’humanité présente comme étant née des générations passées et donnant vie à la génération future : la vie que nous avons reçue et la vie que nous transmettons. Cela nous fait sentir que nous sommes à la croisée des chemins.
Ensuite, Jésus donne effectivement son regard sous forme d’une très courte parabole. Il compare les humains de son temps à des enfants sur la place qui se plaignent que les autres ne s’intéressent pas à eux, à leurs joies et à leur peines. Sur le fond, cette observation de Jésus colle parfaitement avec notre génération massivement individualiste et communautariste, revendicative.
Seulement tout n’est pas perdu car Jésus a habilement tourné sa parabole, et il ne montre pas seulement nos travers, il met aussi en avant des qualités de fond tout à fait excellentes qu’ont les humains :
1) Ils sont comme des enfants, nous dit Jésus : dire cela c’est assurer que les humains vont grandir. Les crises de notre générations sont quelque chose comme une crise d’adolescence : c’est pénible pour tout le monde, cela peut être dangereux, mais en général ça passe. Encore faut-il que ces enfants soient bien entourés, c’est ce que Jésus développera en seconde partie.
2) Ces humains sont comme des enfants sur la place, littéralement sur l’agora, ce lieu fait pour se rencontrer, pour échanger et débattre. Bien sûr, cela pourrait être pour de meilleurs échanges, mais c’est déjà un bon point.
3) Ces humains ont des affects, ils ont de la joie et de la peine : ils vivent intensément. C’est mieux que l’ataraxie visée par les stoïciens du temps de Jésus, et par diverses spiritualités dont l’idéal serait d’avoir une âme semblable à un étang sans ride reflétant le ciel comme un miroir : ce n’est pas vivre, c’est plutôt une sorte d’état de mort précoce. La joie est un bon signe, elle relève le meilleur. La peine est utile, elle relève un problème, une injustice. Ce sont sur de tel symptômes que le médecin et les parents travaillent pour aider. C’est pourquoi aussi bien Jean-Baptiste que Jésus vont travailler chacun à leur façon pour que notre capacité à vivre intensément soit tournée vers la vie. Et c’est alors génial.
Les humains de cette génération sont comme des humains qui sont en colère que les autres ne s’intéressent pas à leurs propres joies et peines. Les humains sont ainsi isolés au milieu de la foule. Cette plainte est à entendre, il y a là quelque chose de pathétique. C’est vrai que dans notre génération, bien des humains ressentent la blessure d’un abandon terrible : ce sentiment de ne pas être entendu, ni par les hommes, ni par Dieu quand ils n’ont plus appris à le connaître. Cet isolement est mauvais pour l’humain, car nous sommes un animal social et spirituel. Quand l’humain se renferme sur lui-même et sa petite cellule, il est comme une plante manquant d’eau et de lumière. Par ailleurs, cette personne manque alors cruellement à sa génération.
En réponse, Jésus nous invite simplement a nous réjouir de la joie de notre voisin au lieu d’en être jaloux, au lieu d’y être indifférent. L’autre est riche, beau et en forme, plein de talents et avec une famille formidable ? Tant mieux. Si je le jalouse : une peine supplémentaire est pour moi avec mes sentiments négatifs et égoïstes. Alors que si je me réjouis de la joie de l’autre : la joie de mon voisin m’apporte de la joie : c’est tout bénéfice pour tout le monde, et cela tisse des liens d’attention entre humains. Quand l’autre est dans la peine, c’est pour lui extrêmement important de voir sa peine entendue, qu’il soit reconnu comme victime du malheur, sans jugement. C’est vrai que compatir nous apporte effectivement de la peine, mais c’est une peine très relative : quand on compatit avec une personne qui a perdu un enfant, notre peine pour lui est sans comparaison avec la sienne, et notre peine de compassion est alors une peine féconde qui grandit tout le monde, ce qui est finalement bon à vivre.
Jésus nous invite à vivre plus intensément. La joie est comme un beau tableau, elle est comme une lampe qui brille : quel dommage de l’enfermer dans un placard : Jésus nous invite à exprimer nos joies en jouant de la flute sur la place, il nous invite à danser en entendant la flûte des autres. Il nous invite à exprimer notre peine sur l’agora, à chanter des chants de lamentation quand nous n’allons pas trop bien, et à compatir avec les autres.
Une joie honteuse est une joie étouffée. Une peine rentrée est une souffrance non soignée, ce qui menace la santé et la paix. Une vie à l’écart des joies et des peines est une vie comateuse, distraite, assoupie. Au contraire, nous pouvons vire intensément et faire qu’ensemble nous allions vers de la joie décuplée et des peines soulagées, portées à plusieurs.
Ce que nous propose cette petite parabole des enfants sur la place, c’est un appel à vivre intensément. Et de vivre en communiquant avec les autres, en dansant à la joie de l’autre, en pleurant à la peine de l’autre. De là naîtront des actes de justices féconds.
À vrai dire, je ne vois pas d’autre solution pour faire que les humains de cette génération se portent mieux. L’affect, la joie et la peine sont des forces puissantes pour que nous fassions corps, et être une génération porteuse de vie.
L’humanité que décrit Jésus n’est donc pas si mal partie que cela, elle est promise à grandir, elle vit intensément (c’est le moins que l’on puisse dire), elle s’exprime. Les fondamentaux sont là, seulement ils sont vécus d’une façon problématique. Il y a une mauvaise ambiance d’accusation des autres, il y a un égocentrisme et un communautarisme massifs. C’est là dessus qu’il nous faut travailler. Mais comment ?
Regarder lucidement notre monde comme nous le propose Jésus : cela nous aide à prendre du recul et à ne pas nous laisser contaminer si facilement. Nous pouvons alors mieux sentir quand nous sommes influencés par une mauvaise ambiance, cela nous aide à travailler pour avoir notre propre façon de voir et de discerner ce qui est bon. C’est un travail personnel comptant sur l’aide de Dieu, ouvert à son souffle.
Car Dieu y travaille, lui aussi, il est à notre chevet et à celui de l’humanité, avec des personnes qu’il envoie, chacune avec son style, pour prendre soin de notre humanité adolescente.
Et qui peinent à se faire entendre. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la génération présente tend à refuser tout ce qui pourrait l’aider. Cela fait partie de sa crise d’adolescence.
Jean-Baptiste et Jésus, eux aussi, crient sur la place. Ce n’est en général pas pour faire entendre leurs propres affects (cela leur arrive), mais pour que l’affect de l’humain soit mis au service de la vie, de notre vie, et qu’en nous portant mieux notre sagesse soit féconde.
Jean Baptiste n’appelle pas à la frugalité, c’est sa façon de travailler à purifier ce qui l’anime, c’est à chacun de trouver les moyens qu’il se donne pour faire le deuil de ce qui ne va pas en nous, afin de se recentrer et de s’ouvrir à la grâce de Dieu. C’est l’essentiel pour Jean : Dieu est grâce, nos joies et nos peines trouvent en lui une écoute profonde, et il les transforme en vie.
Jésus, lui, travaille tout autrement : par la joie qu’il donne, celle de ses paroles, de sa théologie, celle de ses gestes de compassion, et la joie d’être à table avec d’autres, quand la bonne nourriture et les bons vins deviennent une illustration de l’abondance des dons de Dieu pour nous.
Jean et Jésus soignent l’humain abandonné, criant son mal-être et son isolement. Jean nous invite à nous enraciner dans la généreuse grâce de Dieu. Jésus nous invite à vivre intensément en aimant et en nous laissant aimer. Chacun pour sa part, leur équipe nous réconcilie avec Dieu. Alors notre cri de lamentation devient une prière d’appel et d’espérance, comme dans ce Psaume :
24Réveille-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ?
Sors de ton sommeil, ne rejette pas sans fin !
25Pourquoi caches-tu ta face
et oublies-tu notre malheur, notre misère ?
26Car nous mordons la poussière,
notre ventre est cloué au sol.
27Lève-toi ! À l’aide !
Libère-nous au nom de ton amour ! (Psaume 44)
Son amour nous libère et cela nous donne le courage de sortir de notre coquille, et de vibrer avec nos collègues en humanité.
Amen.
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot
Jésus dit : À qui donc comparerai-je les humains de cette génération, et à qui ressemblent-ils ?
32Ils ressemblent à des enfants assis dans la place publique, et qui, se crient les uns aux autres, en disant : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé ; nous vous avons chanté des complaintes, et vous n’avez pas pleuré.
33Car Jean le Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et vous dites : Il a un démon. 34Le Fils de l’homme est venu, mangeant et buvant, et vous dites: C’est un homme glouton et ivrogne, un ami des péagers et des pécheurs.
35Mais la sagesse a été justifiée par tous ses enfants.
Ne vous conformez pas à ces temps actuels, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez vous-mêmes quelle est la volonté de Dieu: ce qui est bon, agréable et parfait.