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L'impossible représentation de Dieu

(Exode 3:2-15 ; Exode 20:1-4 ; 2 Rois 18:3-5 ; Actes 9:1-8)

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Dimanche 27 mars 2022
Culte au temple de Vandœuvres
prédication du pasteur Marc Pernot

Peut-on dire que Dieu serait masculin, ou féminin, ou neutre ? Grands débats dans la presse. Certains disent que cette question est essentielle, d’autres que ce n’est pas un bon sujet, ou que ce n’est pas le moment. Serait-ce inutile de faire de la théologie en période troublée ? Oui et non. La vie biologique a des besoins qui sont souvent d’une grande urgence, c’est vrai, et il est alors temps d’agir plus que de discuter du sexe des anges. D’un autre côté, l’ambiance de ces temps appelle à une autre urgence : notre humanité semble avoir besoin de reprendre pied, comment trouver un socle solide, un nouveau souffle, une visée et un élan ? En faisant de la théologie, qu’elle soit une recherche discutée au cours des repas et des promenades en famille, entre amis.

Seulement, comme tout outil puissant, la théologie peut faire vivre, elle peut aussi être source de peines. A cette occasion je vous propose de regarder comment la Bible nous propose de bien « travailler Dieu ».

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Que peut-on dire sur Dieu ?

La Bible n’en donne aucune représentation, elle s’y refuse explicitement, elle ne développe aucun enseignement sur l’être même de Dieu, juste une brassée de récits assez dépaysants où Dieu reste comme caché dans un buisson, dans une lumière ou une épaisse colonne de fumée. Ce que la Bible montre de Dieu dans ces récits ce sont des impulsions qu’il apporte dans la vie d’une personne.

Abraham se met en route vers une fécondité impensable. Isaac se met à recreuser les sources anciennes qui s’étaient ensablées. Jacob se lance dans une lutte corps à corps pour arracher la bénédiction. Moïse prend en main la libération de son peuple... Chacun a sa propre expérience de Dieu, et pourtant Moïse fait le lien entre « son » Dieu avec le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob... comme s’il y avait autant de « Dieu » que de personnes, car même si c’est le Dieu unique, l’impulsion qu’ont reçue chaque personnage a été particulière. Difficile de mettre ce Dieu si multiple en fiche, si ce n’est qu’à chaque fois c’est le supplément de vie qu’il fallait que chacun a reçu.

Au delà de ce qui est particulier, ce qui est commun c’est le fait d’avoir vécu d’une certaine façon une impulsion de vie à nulle autre comparable. Avec toujours ce Dieu dont la Bible refuse de donner une représentation. Pourquoi ? Parce que cela n’est pas possible. Dieu n’est pas un être parmi tant d’autres, il n’est même pas un être qui serait infiniment grand, beau, fort et tout ce que l’on peut rêver. Dieu est d’un autre ordre. Dieu est pour nous comme une impulsion. Une impulsion qui s’offre, se propose, se négocie volontiers, qui s’adapte, comme nous le voyons dans cette expérience de Moïse et dans bien d’autres récits de la Bible.

La variété même de ces impulsions de Dieu montre « qu’avec Dieu il faut s’attendre à tout » comme Marie, la mère de Jésus, en prend conscience (Luc 1:37).

L’impulsion donnée à Moïse

Moïse se promenait tranquillement avec les moutons de son beau père. Pour lui, l’impulsion de Dieu passe par un titillement de curiosité scientifique devant un buisson qui brûle sans brûler, c’est qui amène d’abord Moïse à un léger changement de trajectoire. C’est ensuite un « Moïse, Moïse » le redoublement évoquant un appel tout à fait profond et personnel auquel Moïse répond « me voici » : cet appel fait écho en moi, m’active. Et tout de suite cette conscience que même si Dieu le rejoint maintenant d’une façon si intime, une distance est à respecter : la distance infinie entre la vie et le principe de la vie, entre le transcendant et l’immanent, disent les philosophes. C’est d’autant plus utile à rappeler que Dieu se fait proche, intimement proche.

Dieu, alors, travaille avec Moïse, main dans la main, à former le Moïse libérateur de son peuple. Le sujet devient très très délicat quand Moïse demande à Dieu son nom, ce qui est une demande de savoir sur Dieu. Dieu se présente alors sous le nom de YHWH, étrange forme mêlant les conjugaisons du verbe être à tous les temps possibles. Nahmanide, philosophe juif du XIIIe siècle traduit ce nom de YHWH par « le faisant être », ce qui fait qu’il y a quelque chose plutôt que rien, ou que le chaos. Dieu est impulsion « de vie, de mouvement et d’être » dit aussi l’apôtre Paul (Actes 17:28). Nous connaissons cet effet, mais de Dieu : mieux vaut se taire que de dire ce que nul mot ne peut dire (2Cor 12:4).

Dieu donne alors à Moïse un signe permettant de vérifier si une impulsion vient de lui, Dieu, et pas d’une de ces multiples voix qui s’expriment en nous et autour de nous. Le signe que c’est Dieu qui nous appelle : c’est que la vie augmente.

Une fois reconnu cela, Dieu donne aux hébreux la mission de « servir Dieu », ce qui est l’inverse d’un asservissement puisque cela consiste à soi-même chercher à faire vivre et affranchir les autres. Cet appel à « servir Dieu » se traduit aussi par « travailler Dieu », travailler la question de Dieu, élargir encore leur écoute de ce qui pourrait survenir comme impulsion nouvelle et encore une fois inouïe venant de Dieu. Cela se fait dans la mémoire de leur propre expérience et aussi dans la mémoire de ce que Dieu a apporté à leurs pères, à Abraham, à Isaac, à Jacob. C’est un travail de mémoire personnelle et familiale. C’est un travail biblique aussi.

C’est bien un travail, car les multiples histoires bibliques nous apportent un grand dépaysement à travers quatre milliers d’années d’histoire et de culture, de prière et de débats incessants. Bien des figures de Dieu, bien des textes nous choquent et nous étonnent. La facilité serait de remplacer la Bible par de jolis poèmes sur l’amour et le printemps, ce ne serait pas « travailler Dieu », ce ne serait pas monter sur les épaules des générations précédentes, ce serait choisir la trajectoire de la feuille morte emportée par les tourbillons du vent. Mieux vaut apprendre à lire les livres que de brûler les livres. Mieux vaut travailler l’histoire que de déboulonner les statues. Mieux vaut apprendre à lire la Bible, la question n’est pas d’être d’accord avec tout dans ce foisonnement de témoignages personnels sur Dieu et de ce qui fait vivre. Y voir non pas une leçon, mais des témoignages et la diversité des impulsions que Dieu peut apporter. Se préparer soi-même pour l’appel inouï qui nous correspondra, pour une vie augmentée, forcément, venant de Dieu.

Le décalogue de Moïse rappelle que Dieu est source de vie, et il ajoute immédiatement qu’il est interdit de s’en faire une représentation. C’est pour tous les temps que nous devons tenir les deux : attendre Dieu comme une nouvelle impulsion de vie, et renoncer à vouloir l’enfermer dans une représentation. Car de tout temps aussi, la société demande une représentation de Dieu qu’il puisse adorer ou haïr, au moins quelque chose que l’on puisse saisir, maîtriser. C’est ce que demandent les Hébreux à Aaron, le frère de Moïse : « Allons ! fais-nous un dieu qui marche devant nous » se forger des veaux d’or est de tout temps.

Nous voyons avec Paul ce que donne le fait de se donner une représentation de Dieu, aussi affinée soit-elle. Paul pense travailler pour Dieu en luttant contre ceux qui ne disent pas Dieu comme lui. Choc de représentations de Dieu. Mais sans doute : Paul n’avait pas finit d’attendre Dieu malgré sa course, il entend que Dieu l’appelle, lui, par son nom redoublé. Paul en tombe à la renverse. La suite est significative : que lui arrive-t-il ? « Saul est relevé de terre » le passif indique que Dieu est l’auteur de cette élévation que Paul dira comme étant au 3e ciel (2 Cor 12). Puis Dieu « lui ouvre les yeux » et que voit-il alors ? Il voit « rien », c’est à dire que toutes les images de Dieu qu’il se faisait deviennent néant (cf. Sermon 71 d’Eckhart). Et c’est une libération pour Paul, la mort est transformée en vie.

Voilà ce qu’est la foi : 1) une ouverture à la transcendance ; 2) dont on renonce à se faire une image. L’un et l’autre, indissociablement.

Ceux qui ne « travaillent pas Dieu » ont d’autant plus de clichés sur lui en tête, et ceux qui disent ne pas croire en Dieu ont en tête une figure de Dieu effectivement assez épouvantable. Ceux qui ont une réelle expérience de ce que Dieu peut nous apporter risquent aussi de se faire une représentation de Dieu en figeant cette précieuse mémoire.

Or, on ne peut pas, en réalité, se faire de représentation de Dieu. Il n’est pas le seul que l’on ne peut pas enfermer dans un bocal, par exemple ce fleuve qu’est le Rhône qui passe au pied de chez nous et qui fait tourner les turbines de la centrale électrique. Un amoureux du Rhône peut avoir envie de prendre une bouteille, la remplir avant la Jonction, et la ramener chez lui en disant : voilà le Rhône. Et bien non. Ce litre d’eau bientôt croupie n’est pas sans rapport avec le Rhône mais il n’est pas le Rhône car le Rhône est d’une eau sans cesse différente et pourtant il reste le Rhône, il est mouvement, il est une force qui n’est pas dans la bouteille. Tels sont les représentations de Dieu, les doctrines sur Dieu. Même tirées d’une expérience authentique, le simple fait de penser capturer Dieu dans une idée est comme d’essayer de mettre le Rhône dans une bouteille. Et encore, le Rhône est un élément de la création comme nous, alors que Dieu n’est pas un être, il est ce qui donne la vie, le mouvement et l’être.

C’est pourquoi Ézéchias brise la précieuse relique du serpent d’airain de Moïse. Il est la mémoire d’une impulsion divine particulière, mémoire d’une libération de nos pères, n’est-ce pas à conserver, comme nos textes bibliques ? Tout dépend comment. Quand il devient un objet de culte, quand il est sacralisé, tout morceau de mémoire d’impulsion divine est alors confondu avec Dieu lui-même, et c’est nocif, car aucune nouvelle impulsion divine ne sortira de ce bout de métal forgé, il détourne ses adorateurs de Dieu au lieu de les inciter à s’ouvrir à l’inattendu, à inouï que Dieu a déjà préparé spécialement pour eux.

Ézéchias brise le serpent d’airain, il abat aussi les poteaux sacrés figurant la déesse mère Ashéra ou Astarté qui était la figure féminine de YHWH. Ce n’est pas d’aujourd’hui ni d’hier que les humains dressent des représentations de figures de Dieu et autres lieux sacrés alors vite en conflit. Plutôt que de travailler sur ces représentations de Dieu, mieux vaut « servir Dieu » en faisant vivre, et mieux vaut « travailler Dieu » afin de mieux se préparer à l’étonnement devant ce qu’il nous apporte, et pour cela renoncer à s’en donner une ou des représentations, quelles qu’elles soient.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

Texte Biblique

Exode 3:2-15 (Moïse et Dieu)

2 Le messager de l’Éternel apparut à Moïse dans une flamme de feu, au milieu du buisson. Moïse regarda et voici, le buisson brûlait dans un feu et le buisson n’était pas mangé. 3 Moïse dit: Je veux me détourner pour voir cette grande vision, et pourquoi le buisson ne brûle pas.

4 L’Eternel vit qu’il se détournait pour voir; et Dieu l’appela du milieu du buisson, et dit: Moïse ! Moïse ! Et il répondit: Me voici ! 5 Dieu dit: N’approche pas d’ici, ôte tes souliers de tes pieds, car le lieu sur lequel tu te tiens est une terre de sainteté. 6 Et il ajouta: Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Moïse se cacha le visage, car il craignait de regarder Dieu.

7 L’Eternel dit: J’ai bien vu la souffrance de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu les cris que lui font pousser ses oppresseurs, car je connais ses douleurs. 8 Je suis descendu pour le délivrer... 10 Maintenant, va, je t’enverrai auprès de Pharaon, et tu feras sortir d’Egypte mon peuple, les enfants d’Israël.

11 Moïse dit à Dieu: Qui suis-je, pour aller vers Pharaon, et pour faire sortir d’Egypte les enfants d’Israël? 12 Dieu dit: Je serai avec toi; et ceci sera pour toi le signe que c’est moi qui t’envoie: quand tu auras fait sortir d’Egypte le peuple, vous servirez Dieu sur cette montagne.

13 Moïse dit à Dieu: J’irai donc vers les enfants d’Israël, et je leur dirai: Le Dieu de vos pères m’envoie vers vous. Mais, s’ils me demandent quel est son nom, que leur répondrai-je? 14 Dieu dit à Moïse: Je suis : Je suis. Et il ajouta: C’est ainsi que tu répondras aux enfants d’Israël: Celui qui s’appelle ‘Je suis’ m’a envoyé vers vous. 15 YHWH, le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, m’as envoyé vers vous. Voilà mon nom pour l’éternité, voilà mon souvenir de génération en génération.

Exode 20:1-4 (Le Décalogue)

1 Dieu prononça alors ces paroles : 2 Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude. 3 Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face. 4 Tu ne te feras pas d’image taillée, ni aucune représentation...

2 Rois 18:3-5 (Réforme)

3 Ezéchias Il fit ce qui est droit aux yeux de l’Éternel, comme avait fait David, son père. 4 Il fit disparaître les lieux sacrés, brisa les statues, abattit les Ashérah, et il mit en pièces le serpent d’airain que Moïse avait fait, car les enfants d’Israël avaient jusqu’alors brûlé des parfums devant lui : on l’appelait Nehuschtan. 5 Ezéchias mit sa confiance en l’Eternel.

Actes 9:1-8 (Paul voit Dieu)

1 Saul, respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le souverain sacrificateur, 2 et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il trouvait des partisans de la nouvelle doctrine, hommes ou femmes, il les amène liés à Jérusalem.

3 Comme il était en chemin, et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. 4 Il tomba par terre, et il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?

5 Il répondit: Qui es-tu, Seigneur? celui-ci dit: Moi, je suis Jésus que tu poursuis. 6 Mais Lève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire. 7 Les hommes qui l’accompagnaient demeurèrent stupéfaits; ils entendaient la voix, mais ne voyaient personne.

8 Saul fut relevé de terre, et ses yeux ayant été ouverts il voyait : rien.

(Cf. édition NEG)