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Parole première

(Deutéronome 5:1-6 ; Jean 13:19 )

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Genève - Dimanche 10 juin 2018
prédication du pasteur Marc Pernot

Il arrive régulièrement qu’une personne me dise avec compassion : vous qui avez choisi d’être pasteur, si finalement Dieu n’existait pas ce serait terrible, vous auriez bâti toute votre vie sur rien ! Ce n’est pas seulement pour moi que ces personnes craignent mais pour elles-mêmes au moment où elles hésitent à intégrer la foi dans leur façon de vivre et d’espérer.

Comment alors décider de faire place à Dieu dans sa vie ? Ou non ?

Blaise Pascal est bien connu comme philosophe et comme scientifique (l’unité de mesure de pression porte son nom), il est connu aussi comme ayant vécu une expérience mystique dont il parle comme de sa « nuit de feu ». Mais il sait bien que cela ne peut absolument pas être tenu pour une preuve de l’existence de Dieu. Comme Pascal est aussi mathématicien et qu’il a beaucoup travaillé sur les probabilités, l’argument qu’il développe pour inviter à faire place à Dieu dans sa vie est un pari. Il écrit (fragment 397 des Pensées) : « Examinons donc ce point, et disons : « Dieu est, ou il n'est pas. » Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n'y peut rien déterminer : il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera pile ou face. Que gagerez-vous ?... Pesons le gain et la perte en gageant que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter. »

Pascal a-t-il raison ou tort dans cet argument ? Un peu des deux, à mon avis. Il a raison dans sa conclusion : cela vaut la peine de miser sur Dieu en lui faisant place dans son existence. « Sans hésiter », comme il dit, car on gagne sûrement. Mais il me semble que c’est pour une autre raison que celle développée ici par Pascal.

La raison donnée par Moïse aux hébreux me semble bien meilleure. D’abord parce que Moïse ne nous propose pas de faire un « pari » avec un bénéfice dans une vie ultérieure comme Pascal, mais il invite à prendre en compte notre propre expérience de l’essentiel pour en vivre déjà maintenant, dans la vie en ce monde.

Et, contrairement à ce que dit Blaise Pascal, cette question de l’existence de Dieu n’échappe pas totalement à la raison. Et Moïse nous l’explique ici.

Des personnes comme Moïse et Pascal ont eu la chance de faire une expérience mystique très vive. D’autres ont un sentiment mystique plus diffus. C’est assez répandu mais tout le monde n’a pas cette expérience, chacun sa sensibilité, ses dons, sa façon de vivre sa foi. Moïse sait bien que les hébreux n’ont pas vécu cela, et pourtant, il nous dit ici que chacun d’entre eux, de tous sexes, âges et conditions a rencontré l’Éternel face à face. Qu’il a fait alliance avec eux et qu’il leur a dit, personnellement : « Moi, je suis YHWH, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison des esclaves ! »

Comment leur a t-il parlé face à face ? Ils sont plus au raz des pâquerettes que dans les hauteurs spirituelles, ils doutent, ils cherchent des appuis et des nourritures plus matériels. Ils sont très humains, en fait. Comment, dans ces conditions, une alliance a-t-elle déjà été conclue directement avec chacun, selon Moïse ? Quel est ce Dieu dont il parle ? Il l’explique ici. Ce YHWH qu’ils ont rencontré sans en prendre encore conscience :

- Il est sur la montagne,

- Il est comme un feu,

- Il fait alliance ici et maintenant avec chacun

- Qu’il s’adresse en disant « moi, je suis »

- Et qu’il est source de notre libération d’Égypte.

Et effectivement, chacun, méditant sur cela, sait très bien de quoi il est question car nous avons là comme la racine de notre commune humanité. Avec quelque chose que nous avons déjà vécu, comme le dit cette parole, la 1 ère du célèbre Décalogue. C’est aussi quelque chose que nous attentons, que nous espérons vivre, approfondir, et offrir à ceux que nous aimons.

Par exemple, cette 1ère des 10 paroles dit que nous avons vécu cette sortie d’Égypte et que nous sommes en droit de l’espérer encore, puisque ce Décalogue nous est donné pour le vivre au présent. En quoi est-ce que cette sortie d’Égypte nous concerne ? C’est qu’en hébreu l’Égypte (MiTSRaïm) est aussi la détresse, l’angoisse (MeTSRaïm), de la racine TSouR « être pris à la gorge ». En ce sens, cette expérience d’une Égypte dont nous serions déjà sorti et dont nous aurions encore à sortir, parle à tout humain. Qu’est-ce qui nous a aidé et nous aide encore à gérer cet étranglement que nous ressentons d’une façon plus ou moins aiguë : avec notre finitude, nos difficultés à évoluer, difficulté à vivre avec les autres, l’incertitude ?

Cela vaut pour le croyant comme pour le non croyant. Ce n’est pas seulement une question de religion, mais celle de la dynamique de notre existence. Moïse appelle YHWH la source multiple de ce qui nous fait nous porter mieux.

Nous n’avons pas toujours été et aujourd’hui nous sommes un être vivant. Nous avons vécu bien des élévations : élévation des sentiments, de capacités, de hauteur de vue permettant une mise en perspective des chemins possibles. Moïse appelle YHWH la source d’élévation (qu’évoque la montagne), d’éclairage et de purification (qu’évoque le feu), il est source de libération de ce qui nous enchaîne et nous fait souffrir.

Ce tétragramme YHWH est une déclinaison un peu spéciale du verbe être. Jean l’Évangéliste, qui s’y connaît en hébreu, traduit ce tétragramme par « celui qui est, qui était et qui vient » (Apoccalypse 1:4,8). A côté de cela, la traduction française datant du XVIe siècle est pas mal mais elle est un peu faible. La traduction « le Seigneur » reprend une ancienne tradition mais elle a des relents de féodalité et de soumission. C’est un contre-sens, alors que YHWH est la source de l’être, tout de positivité, de tendresse maternelle, source pour nous « de vie de mouvement et d’être » (Actes 17:28) (comme le dit Paul, qui est lui aussi un fin bibliste).

Même le plus athée des hommes peut s’étonner qu’il y ait quelque chose plutôt que rien. Il peut chercher, je le lui souhaite, ce qui dans sa vie a été ou pourrait être source d’élévation, source d’une vie plus belle, plus vivante, plus bienfaisante. Ce YHWH n’est donc pas étranger à ce que l’homme, le croyant comme l’athée est déjà et espère encore. Moïse nous invite ainsi à une introspection : à chercher en soi-même ce qui a été une bonne source.

Moïse nous invite ensuite à adopter cette source comme notre Dieu personnel, ce n’est pas d’abord une question de religion, c’est autre chose. Par définition, « dieu » est ce que la personne adore, ce qu’elle place au-dessus de tout.

Moïse nous propose d’adopter comme notre dieu ce qui a été et est pour nous source de vie croissante. Cela n’a rien d’un pari. C’est une saine démarche, intelligente, sincère et productive. C’est valable par exemple pour la santé du corps. Il est sage de ne pas seulement aimer être en bonne santé, mais de chercher la source d’une meilleure santé et de cultiver une fréquentation de cette source en faisant ce qu’il faut d’exercice, en mangeant sainement et de façon équilibrée, se laver les mains, etc.

Alors, est-ce que Dieu existe ? Pascal disait que cela échappe à la raison. C’est vrai si l’on considère Dieu comme un objet mais il ne l’est de toute façon pas. Il est, d’une façon différente de cet univers. Mais en ce qui nous concerne, notre dieu est par définition ce que nous plaçons au dessus de tout le reste. Que nous l’appelions dieu ou non, cela existe pour chacun. Mieux vaut savoir et choisir ce qui est dieu pour nous. Mieux vaut donc faire un minimum d’introspection et de théologie, et en discuter entre nous ce que fait la Bible dans la diversité de ses témoignages.

Moïse nous dit qu’il est bon de prendre la source de notre être comme objet de notre adoration. C’est un choix intelligent. Il ne sert a rien d’adorer la vie en elle-même, ou le bonheur, ou la santé. Par contre il est bon de travailler son rapport à la source de ces biens. Adorer la vie, la santé, le bonheur plutôt que d’en chercher la source, c’est ce que la Bible dénonce comme de l’idolâtrie, ce n’est pas une question religieuse, ce n’est pas que Dieu serait fâché (il en a vu d’autres), mais c’est simplement que ça ne marche pas. Ce serait comme de tellement aimer le vin que l’on oublie de soigner sa vigne, c’est comme tuer sa poule aux œufs d’or. Ce sont de mauvais choix.

Cette adoration de la source n’est donc pas une simple confession de foi, c’est une hygiène de vie, comme pour la santé du corps : il ne suffit pas d’être persuadé qu’il est bon de faire de l’exercice et d’avoir une alimentation saine. Dans le domaine de notre être : la question est aussi de trouver personnellement l’exercice et la nourriture qui conviennent à notre situation particulière, et de trouver peut-être la compagnie qui nous stimulera pour tenir le rythme.

Cette hygiène spirituelle est source de libération, source de sortie d’Égypte et de la maison de servitude, insiste Moïse. Adopter, très concrètement la source de l’être comme Dieu donne d’exister, au sens étymologique : « ex » hors de, et « sistere » se tenir sur debout sur ses jambes, responsable, au milieu du prétoire. Sortir du lot, ne pas être qu’un numéro dans la masse (tout Israël a été appelé par Moïse), mais être soi, irremplaçable. C’est cela que la Bible désigne par notre « sainteté », exactement cela : Dieu nous connaît et nous reconnaît personnellement, il nous sort du lot, il compte sur nous, sur notre personnalité et notre possible vocation à bâtir ensemble, lui et nous, dans ce corps qu’est l’humanité, et dans ce monde qu’il aime et qu’il crée.

Là encore, ce n’est pas seulement de la théologie abstraite. C’est à vivre et à travailler. C’est une genèse : sortir de ce que nous ont transmis nos parents, notre culture, notre nature, notre histoire, bonne et mauvaise pour en faire quelque chose de personnel.

Le terme même d’« église » fait écho à cette sortie de ce que nous sommes aujourd’hui. « Ekklesia » c’est «ex » hors de et « kaleo » être appelé. L’Église n’est donc pas délimitée par une frontière de dogmes, de rites et de morale. Elle est là pour faire retentir l’appel de la source de l’être, appel à sortir de l’étroitesse de notre moi pour concevoir que nous ne sommes pas Dieu, et que d’autres, aussi, existent. L’Église a pour mission de parler à chacune et chacun à la 2e personne du singulier : toi, tu es digne d’ex-sister.

Et la source de l’être parle à la 1ère personne, disant « moi, je suis », cela fait de cette source de l’être une personne, pas seulement un principe. C’est bien plus discutable que la question d’adopter la source de l’être comme son Dieu. Et c’est ce qui distingue le plus le croyant de l’athée ou du bouddhiste. Cela me semble pourtant essentiel, très concrètement. D’abord d’un point de vue philosophique, mais aussi parce que cela nous invite à prier un plus grand que nous en le tutoyant. C’est une humilité féconde et cela nous élève vers lui. Cela nous fait entrer dans une alliance avec lui et non dans un nouvel esclavage. En effet, ce « moi je suis » de Dieu est aussi une promesse pour nous de pouvoir dire à notre tour « moi, je suis », et exister à la 1 ère personne, à l’image de Dieu.

C’est ainsi que Jean bâtit le plan de son Évangile en le structurant par une célèbre série de « Ego Eimi » « Moi je suis » attribués au Christ comme figure de l’humain : « moi, je suis la lumière du monde », « je suis la porte », « le bon berger », « la résurrection et la vie »... et pas moins de 7 fois ce « moi je suis » de Jésus est utilisé au sens absolu, sans attribut, comme en Jean 13:19. Mais pour Jean, ce n’est pas réservé à Jésus, une autre personne se présentera ainsi à la 1 ère personne « Moi, je suis » : un aveugle guéri par Jésus et se levant, seul au milieu de tous(Jean 9,9). Et c’est ainsi qu’il nous est donné d’exister.

Amen

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

 

Lecture de la Bible

Deutéronome 5:1-6

Moïse appela tout Israël et leur dit : Écoute, Israël, les prescriptions et les règles que je proclame aujourd'hui à vos oreilles. Apprenez-les, observez-les pour les faire. 2 YHWH (L’Éternel), notre Dieu, a conclu avec nous une alliance à Horeb. 3 Ce n'est pas avec nos pères que YHWH a conclu cette alliance ; c'est avec nous, qui sommes ici aujourd'hui, tous vivants. 4 YHWH vous a parlé face à face sur la montagne, du milieu du feu. 5 Et moi, je me tenais en ce temps-là entre YHWH et entre vous, pour vous annoncer la parole de YHWH ; car vous aviez peur devant le feu et vous n'êtes pas montés sur la montagne.

Il dit : 6 Moi, je suis YHWH, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Égypte, de la maison des esclaves...

Jean 13:19

Jésus : Je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle arrivera, vous croyiez que « Moi, je suis ».