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Libéré, même de la religion,
même du Christ

(Luc 17:11-21)

(écouter l'enregistrement - voir la vidéo ci-dessous)

Culte du dimanche 22 décembre 2013
prédication du pasteur Marc Pernot

En cette saison l’« esprit de Noël » est un peu partout. On voit des crèches dans le guichet d’une gare ou sur un rond-point, on entend « il est né le divin enfant » en musique d’ambiance dans les supermarchés. Cette ambiance magique de Noël va conduire bien des personnes à aller pour une fois à l’église, c’est une chance pour eux, car un miracle peut se produire sur ce chemin. Comme dans cette histoire racontée dans l’Évangile selon Luc où des personnes sont guéries alors qu’elles sont en chemin pour accomplir un rite religieux.

Je vous propose de nous demander, à partir de ce texte, à ce que Jésus pensait de la pratique des actes religieux.

Contre toute attente, Jésus invite les dix lépreux à accomplir un acte religieux. Ce n’est pas son genre.

Dix hommes unis par leur commune détresse viennent vers lui et l’appellent à l’aide. Jésus n’accomplit aucun geste, il ne fait pas de la boue avec sa salive et la poussière du sol, comme d’autres fois, il n’impose pas les mains, il ne bénit pas les lépreux, il ne leur parle pas du pardon de Dieu, comme il le fait souvent. Jésus ne leur dit qu’une seule chose : « allez se montrer aux sacrificateurs ». Il leur dit d’aller accomplir un de ces actes de pure religion religieuse dont le livre du Lévitique est friand, avec tout ce qu’il faut de poulets et de moutons sacrifiés, avec de multiples aspersions, avec de l’huile sur le lobe de l’oreille et sur tel orteil, puis avec savants mélanges d’eau, de sang, de poudre d’insectes séchés et d’hysope… le tout prenant 8 bons jours et certainement pas mal d’argent (Lév. 14).

C’est surréaliste quand on connaît par ailleurs la façon d’être de Jésus, qui a été très critiqué et même exécuté pour ne pas bien respecter le Sabbat.

Jésus les envoie pourtant accomplir un rite religieux, et ça marche « pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent purifiés. »

Alors, Jésus soutiendrait-il l’importance essentielle des rites religieux ?

C’est un peu plus fin que cela, et il n’est pas possible de répondre par un simple oui ou non.

D’abord parce que la religion ne se limite pas ici au rite dans le temple, et que les lépreux sont guéris avant même l’accomplissement du rite. Mais ensuite parce que l’histoire continue après la guérison des 10 lépreux avec cet homme qui finalement ne va pas jusqu’aux sacrificateurs et revient vers Jésus. De quoi est-il alors sauvé que n’ont pas reçu les 9 autres qui, eux, sont restés bien sagement pour accomplir le rite que Jésus leur avait dit de faire, rite qui permettait à un lépreux guéri de réintégrer la société.

Reprenons au début la démarche des 10 lépreux.

1) Se rassembler pour demander au maître

La démarche des 10 lépreux évoque déjà un des très intéressants bénéfices de la religion.

Ils se sont rassemblés, liés par une même condition, par une même recherche malgré leurs différences normalement insurmontables, les juifs et les samaritains ne se fréquentant pas. Et ils vont vers Jésus en tant que « maître ». Ce terme epistates est toujours dans l’Évangile le titre qu’emploie un disciple pour s’adresser à son maître pour lui demander de l’aide ou une consigne. Il y a de l’humilité dans cette relation, il y a de la confiance. Et effectivement, les dix hommes vont faire sans hésiter ce que Jésus leur propose de faire, aussi surprenant soit-il.

Nous avons ici une dimension intéressante de la religion. Comme ces dix hommes, nous sommes réunis ce matin par une commune recherche, une espérance, une certaine confiance dans un maître que nous avons choisi. La religion a cette capacité fort rare de rassembler des personnes qui sont normalement étrangères les unes aux autres, de milieux sociaux différents, d’origine ou de cultures diverses, des protestants depuis toujours, des catholiques, des personnes venant d’autres milieux chrétiens, ou du bouddhisme, de l’islam ou de l’athéisme.

La religion crée du lien entre nous, un lien fort par cette recherche et cette confiance communes. C’est précieux. Car dans n’importe quelle société humaine, il peut arriver très vite d’être comme un lépreux dans la société antique, le vilain petit canard de la fable, isolé dans sa propre famille, ou au travail, ou parce que sans travail, ou dans l’anonymat des grandes villes et le désert des campagnes, ou loin de son pays, ou dans la dépression...

La religion crée du lien social, elle nous apprend que non, nous ne sommes pas un pestiféré aux yeux de Dieu. C’est cela que gagneront les 9 qui resteront sagement à accomplir le rite, ils seront réintégrés.

Il est bon d’avoir choisi d’être disciple d’un maître comme Jésus. Franchement, il y a pire que cette puissante théologie d’un Dieu qui aime jusqu’à ses ennemis, sa philosophie de l’infinie dignité de chaque personne et de chaque journée, son invitation à vivre de la grâce et de la gratitude, son éthique de la responsabilité, et mille autres choses.

Les 10 lépreux ont bien saisi cette philosophie du Christ quand ils s’adressent à lui au nom de la seule compassion. La lèpre était alors considérée comme une punition pour leur péché, ils se sentent donc coupables et indignes, ils n’ont rien à offrir, mais ils peuvent demander quand même puisque Jésus incarne le pardon, le service de l’autre sans condition.

Alors en conjuguant la force du rassemblement de personnes diverses et celle d’un maître plutôt excellent, nous avons dans le Christianisme une religion qui peut vraiment mettre en route d’une belle façon.

2) Jésus les envoie vers le rite

Qu’est-ce que cela ajoute ? La dimension de la transcendance.

La religion ne se résume pas à créer du lien social et à nous permettre d’élever notre philosophie et notre éthique. L’Évangile c’est d’abord la bonne nouvelle du Royaume de Dieu qui s’approche, qui est là, au milieu de nous et au-dedans de nous, comme le dit Jésus ici.

C’est vrai que l’on peut tirer une leçon de vie de cet épisode de la vie de Jésus. Avec par exemple l’importance de la justification gratuite, celle de la gratitude, l’importance d’une parole extérieure pour restaurer le sentiment que nous sommes dignes de faire partie de la communauté humaine.

Mais une religion, c’est plus qu’un lien social et un idéal. Une religion c’est une ouverture, une espérance vers une dimension d’un autre ordre.

C’est ce à quoi fait place le rite. C’est ce dont ont besoin ces 10 lépreux.

Mais c’est là que l’histoire racontée ici est très fine. Ce n’est pas le rite qui va guérir les 10 lépreux, puisque c’est en chemin vers le rite qu’ils sont guéris.

Mais ce qui leur arrive est effectivement au-delà de la prise de conscience. Le texte dit : « il arriva qu’ils furent purifiés ». Le « il arriva » egenetw sous-entend dans la Bible une action créatrice de Dieu injectant de l’inattendu dans la chaîne prévisible des causes et des conséquences. Le passif de cette purification, lui aussi, désigne Dieu comme l’acteur invisible de cette transformation qui arrive « tandis qu’ils s’en allaient » se faire examiner par les sacrificateurs.

L’important n’est donc pas le rite en lui-même, ni les sacrificateurs, mais le chemin vers le rite.

D’ailleurs, quand l’un des dix fait demi-tour au milieu sans aller jusqu’aux prêtres, Jésus ne le renverra pas accomplir plus tard le rite de réintégration auprès des prêtres. Ce n’est plus la peine.

Le chemin vers le rite est déjà une ouverture à cette transcendance, vivre le rite lui-même est une ouverture cette transcendance. Une ouverture qui intègre l’intelligence, mais qui s’inscrit dans le mouvement du corps, dans le rassemblement avec d’autres personnes, et qui s’inscrit dans du temps et des moyens consacrés à cela.

La guérison des 10 lépreux sur le chemin permet à ce texte de dire l’intérêt du rite religieux pour nous, mais en même temps de remettre le rite à sa place. Ce serait de la folie de penser une seconde que le rite a une action magique sur Dieu. C’est pour nous que le rite est utile, comme le dit Jésus « Le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat ». La religion, ou plutôt toute bonne religion ne doit pas se prétendre être un but en soi mais un exercice au service de la personne humaine et de l’humanité.

L’important c’est le chemin vers le rite, image d’un cheminement intérieur qui s’ouvre à l’action de Dieu en nous et dans notre monde. (D’ailleurs ce texte nous montre que Jésus lui-même est en chemin vers Jérusalem qui est le centre symbolique du rite religieux pour les juifs. Jésus ne cesse d’être en chemin vers Jérusalem dans ce livre, alors qu’il le fait zigzaguer sur une route improbable qui passe au milieu de la Samarie et au milieu de la Galilée pleine de toutes sortes de populations.)

Les dix lépreux sont purifiés. Ce texte ne nous dit pas qu’il vaut mieux aller faire un rite religieux plutôt que de prendre des antibiotiques pour soigner la lèpre. Ce n’est pas de cela que parle ce texte, mais il parle de l’ouverture de notre être dans toutes ses dimensions à la puissance créatrice de Dieu, à son règne en nous et dans notre monde.

Reste encore deux étapes dans le cheminement proposé par ce texte.

3) Rendre gloire à Dieu

La religion n’est pas seulement une philosophie, ni une recherche communautaire, elle n’est pas simplement non plus une ouverture à l’action de Dieu en nous. La religion est tout cela mais aussi rendre gloire à Dieu. Quelle importance ? A quoi ça sert, a t-on envie de dire avec notre mentalité pragmatique ?

La gratitude nous permet de vivre quelque chose d’essentiel et de très bienfaisant pour nous, la louange est un exercice d’initiation et parfois de rééducation à vivre la gratuité. Par exemple le propre de l’Évangile est d’annoncer le pardon gratuit de Dieu. C’est très libérant. Nous sommes regardés par Dieu comme digne de vivre et d’être appelé son enfant bien aimé. C’est tout cadeau (de Noël). Par la gratitude nous pouvons, à notre tour, donner quelque chose gratuitement. Ce n’est pas pour payer à posteriori ce qui nous a été donné de bon cœur par Dieu, mais pour connaître et pour donner cette même joie.

Neuf lépreux continuent probablement là où leur maître Jésus leur a dit d’aller, et ce qui leur a plutôt réussis puisqu’ils ont été guéris en chemin. Ils en ont pour 8 bon jours de rites pour rendre gloire à Dieu d’avoir été guéris, et pour se réjouir du bonheur d’être disciple d’un homme si averti des moyens de s’ouvrir à la puissance de vie qu’est Dieu.

Le 10e lépreux cumule le fait d’être infréquentable comme lépreux, traité comme contagieux physiquement et moralement, mais il est en plus infréquentable comme samaritain.

Cet homme se rend compte qu’il y a en Jésus plus qu’un sage, plus qu’un théologien, un croyant et un philosophe. Et c’est à ses pieds qu’il va rendre gloire à Dieu. Le texte dit même qu’il « rend grâce » à Jésus, ce qui est extrêmement fort puisque ce verbe eucaristein ne sert ordinairement que pour rendre grâce à Dieu lui-même. En Jésus, le 10e homme voit plus qu’un sacrificateur, il voit l’Emmanuel c’est à dire « Dieu parmi nous », il voit « le salut de l’Éternel » = « Jésus ».

Le demi-tour de ce 10e homme est une conversion dans sa relation à Jésus non plus comme maître mais comme Christ, incarnant le salut de Dieu, la venue du Royaume de Dieu ici et maintenant dans notre vie. C’est la bonne nouvelle que nous célébrons à Noël.

C’est ce demi-tour, comme le fait remarquer Jésus (v.18), qui fait vraiment place à la gloire de Dieu dans notre vie, en reconnaissant le salut de Dieu là où il est, sans s’arrêter au rite.

Le Samaritain est appelé par Jésus un « étranger », ce terme allogenes est unique dans toute la Bible, mais ce terme était très connu du temps de Jésus par l’inscription interdisant aux étrangers d’accéder au parvis du temple de Jérusalem (cette pierre est conservée au musée d’Istambul). Jésus attire notre attention sur le fait que la religion étant une ouverture à Dieu (qui est par définition le dieu de tous les peuples puisqu’il y a un seul dieu), toute religion qui interdit à certaines personnes de rendre gloire à Dieu n’est plus « une maison de prière pour tous les peuples », comme Dieu nous el demande, mais « une caverne de voleurs », volant la louange des hommes, volant à Dieu lui-même sa place. (És 56:7; Mr 11:17)

4) Le Royaume de Dieu au milieu de nous

Dieu n’est pas dans le temple de Jérusalem. Ce n’est qu’un outil pour nous appeler à la prière.

Mieux vaut donc rendre gloire face contre terre au pied du Christ ? Et bien non, là aussi ce n’est qu’un étape, celle qui nous permet d’entrer dans une relation vraiment personnelle avec Dieu, au delà du rite, au delà du groupe, au delà des bougies et des croix.

Jésus ne veut pas non plus voler à Dieu sa place. Il dit à l’homme qui s’est jeté à ses pieds

« Lève-toi, va ; ta foi t’a sauvé. »

Le véritable lieu où rendre gloire à Dieu est-il dans les rites religieux ? Ce n’était que pour un instant, comme une ouverture.

Le véritable lieu où rendre gloire à Dieu est-il dans aux pieds du Christ ? Ce n’est là aussi que le temps d’une prière de louange, d’adoration, de gratitude et de foi.

Mais le véritable lieu pour rendre gloire à Dieu est ensuite, dans une 3e étape, en vivant notre vie librement. Le Royaume de Dieu n’est ni au temple, ni aux pieds de Jésus, le Royaume de Dieu est en nous, au-dedans de nous et au milieu de nos relations entre nous. Et Jésus insiste. Ce n’est pas moi qui te ressuscite, c’est toi-même qui t’es déjà mis debout. C’est ta foi à toi qui t’a sauvé. La force du groupe, la sagesse du maître, l’ouverture du rite, la gratitude au pieds du Christ, tout cela ne sont que des moyens, par étapes. La puissance de résurrection est en toi, elle est en vous. Ta foi t’a sauvé, sauvé du néant, sauvé de l’esclavage de la mauvaise religion, sauvé même de l’adoration perpétuelle du Christ.

Notre cheminement nous mène alors au lieu ultime de l’adoration, le culte auquel Dieu prend vraiment plaisir à ce stade, c’est que nous vivions, c’est que nous avancions librement au milieu de nos frères et sœurs.

Amen.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot.

 

Lecture de la Bible

Luc 17:11-21

Jésus, se rendant à Jérusalem, passait entre la Samarie et la Galilée. 12 Comme il entrait dans un village, dix hommes lépreux vinrent à sa rencontre. Se tenant à distance, ils élevèrent la voix, et dirent :
13 « Jésus, maître, aie pitié de nous ! »

14 Les voyant, il leur dit :
« Allez vous montrer aux sacrificateurs ».

Et, pendant qu’ils y allaient, il arriva qu’ils furent purifiés.

15 L’un d’eux, se voyant guéri, fit 1/2 tour, glorifiant Dieu à haute voix. 16 Il tomba sur sa face aux pieds de Jésus, et lui rendit grâces. C’était un Samaritain.

17 Jésus, prenant la parole, dit :
« Les dix n’ont-ils pas été guéris ?
Et les neuf autres, où sont-ils ?
18 Sauf cet étranger, ils n’ont pas été trouvés faisant 1/2 tour pour donner gloire à Dieu ? 
»

19 Puis il lui dit :
« Lève-toi, va ; ta foi t’a sauvé. »

20 Les pharisiens demandèrent à Jésus quand viendrait le royaume de Dieu.

Il leur répondit :
« Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. 21 On ne dira pas : Il est ici, ou : Il est là. Car voici, le royaume de Dieu est au milieu et au-dedans de vous. »

 

Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 07:55)

(début de la prédication à 07:55)

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot