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« Le juste vivra par la foi »

(Romains 1:15-17 ; Habaquq 1:1-5, 2:1-4)

(écouter, culte entier, imprimer)

1er Novembre 2020 - Réformation
À Genève - Champel
prédication du pasteur Marc Pernot

Pour cette fête de la réformation, je vous propose de nous pencher ensemble sur ce verset du livre d’Habaquq « Le juste vivra par sa foi » si important pour l’apôtre Paul qu’il va en faire le cœur de sa théologie de la grâce de Dieu, puis pour Martin Luther qui va partir de là pour son projet de réforme. Pour l’un comme pour l’autre, ce verset a tout changé. Il permet de se recentrer sur l’essentiel.

Paul n’est pas le seul à chercher le cœur du cœur de l’essentiel et à arriver à ce verset d’Habaquq. À peu près la même époque, le Talmud (Makkot 24a) nous rapporte une longue discussion concentrant étape par étape les 613 commandements traditionnels dans certains courants du judaïsme, jusqu’à arriver :

- à seulement 3 commandements avec Michée(6:8) « On t’a fait connaître, ô humain, ce qui est bien et ce que l’Éternel te demande : C’est que tu pratiques la justice, Que tu aimes la miséricorde, Et que tu marches humblement avec ton Dieu. » : absolument magnifique, et si profond. À méditer chaque jour ?

- puis à 2 commandements avec Ésaïe(56:1) « Ainsi parle l’Éternel : Gardez ce qui est droit, et pratiquez la justice » : un appel au discernement personnel, libre, responsable. À méditer aussi.

- puis à 1 seul commandement avec Amos(5:4) « Ainsi parle l’Éternel : Cherchez-moi, et vous vivrez ! » : nous entrons là dans le cœur d’une foi vivante, d’une réflexion libre de tout dogmatisme, de tout moralisme. Une invitation à la prière et à la recherche personnelle, où l’agnostique comme le plus vibrant des fidèles sont invités à chercher la source de la vie, pas à pas. Le fait même de chercher étant la chose la plus essentielle, divine.

- cette discussion du Talmud aboutit finalement à cet unique commandement trouvé dans le livre du prophète Habaquq(2:4) « Le juste vivra par sa foi ». Trois mots seulement. Trois mots qui nous parlent de Dieu comme juste, fidèle et bon, trois mots qui nous parlent de nous, de notre vie, de notre foi à vivre telle qu’elle est aujourd’hui. Avoir sa propre foi, et vivre par sa foi, dans la sincérité. Oser cette sincérité et cette liberté.

Ce geste de rechercher le cœur du cœur de ce qui nous anime est un geste fondamental que nous pouvons faire nous-même, avec notre personnalité, notre sensibilité spirituelle et théologique. Cette démarche est l’esprit d’une réforme permanente, d’une conversion continue, pas à pas, avec Dieu. Ces versets choisis parmi les 23'145 de la Bible Hébraïque rendent la personne humaine adulte dans sa foi.

« Le juste vivra par sa foi » : c’est une théologie

Dieu est juste, il est fidèle et vivant. Il ne peut donc absolument pas abandonner un seul de ses enfants, jamais, car il est fidèle. Dieu ne peut être source de mort, en aucune façon, il ne peut rester inerte, les bras croisés, car il est « le vivant » : il agit pour soigner, pour faire grandir et ressusciter. Et même s’il n’y avait que du bien quelque part, il agirait encore pour l’augmenter.

Cette théologie d’Habaquq à un parfum d’Évangile. Dieu est juste. Dit comme ça, cela semble banal, et pourtant, c’est une révolution. La Bible nous parle du problème fondamental de l’humanité sous forme d’un récit où la tentation souffle à Adam et Ève : « Dieu vous a interdit de manger de cet arbre car il sait que le jour où vous en mangerez vous serez comme Dieu ! ». Ce péché fondamental c’est de penser que Dieu ne serait pas si juste que cela et que notre désir de l’instant serait, lui, juste. Ça paraît grossier. Ça l’est, et pourtant cette tentation est la nôtre évidemment. Nous appelons ça : la sincérité, la spontanéité, nous appelons ça se faire plaisir, ou vivre en harmonie avec soi-même… Bien sûr qu’il est juste de nous écouter aussi, mais est-ce bon d’idolâtrer ainsi cette part de nous-même ? Nous savons, ou nous sentons que ce qui est juste est plus élevé que notre désir de l’instant, que notre être est le membre d’un corps, que la vie vient de plus loin et nous dépasse.

Habaquq nous propose Dieu comme définition du juste, Dieu en tant qu’absolument vivant et donc source de vie jamais de mort, Dieu entant qu’absolument fidèle et donc source de foi, n’abandonnant personne.

Cette définition pose immédiatement plein de questions. Si Le juste, c’est Dieu, transcendant, créateur, fidèle et vivant… alors notre monde comprend une profonde part d’injustice. Habaquq le reconnaît dans une belle démarche : il met Dieu en question au lieu de rejeter d’emblée toute notion de Dieu comme un enfant jetterait par terre un puzzle qu’il n’arriverait pas à faire. Habaquq interroge Dieu, lui donnant une chance de répondre, et du même coup, Habaquq s’interroge sur sa propre conception de ce qui est juste, se laissant à lui-même une chance d’évoluer. Pourquoi tant de mal, tant d’injustice, d’oppression et de violence, tant de disputes entre nous ? Et toi, Dieu, si tu es transcendant, aimant fidèlement, et vivant : Pourquoi me fais-tu voir tout ce mal, cette souffrance, dit Habaquq ? Pourquoi est-ce que tu laisses le méchant parfois triompher du juste ?

Dieu va répondre, et Habaquq va évoluer dans sa théologie, il va du coup évoluer dans sa notion de ce qui est juste : Dieu est juste au sens où il en train d’agir pour plus de justice, de vie et de fidélité. C’est une action qui est en train de se déployer, qui demande du temps.

Il y a là une évolution importante dans la notion de justice. L’intégriste n’appelle juste que ce qui est 100% juste tout de suite, il est le chevalier blanc et noir, pourchassant tout ce qui a la moindre petite tache, refusant, critiquant, tuant ce qui n’est pas impeccable. Habaquq sent que la justice de Dieu consiste à espérer rendre juste ce qui ne le serait pas encore. C’est une notion de la justice vivante et fidèle.

Le juste vivra par sa foi, c’est une théologie qui est à méditer, à prier, et aussi à vivre en actes.

La fin de la peur de la « justice de Dieu »

Ce verset semble être le verset de la Bible que l’apôtre Paul préfère, car c’est sur ce verset qu’il fonde l’armature de sa théologie de la grâce qui est le leitmotiv de ses lettres aux Romains et aux Galates. Et cette phrase va libérer le jeune Martin Luther de cette terrible peur qu’il avait du jugement de Dieu, c’est ce qui va le libérer de ces exercices religieux et sacrifices qu’il s’infligeait pour essayer de mériter sa place dans la vie. Luther racontera plus tard que : « Aussitôt, je me sentis renaître, et il me sembla être entré par des portes largement ouvertes au Paradis même… Autant j’avais détesté ce terme de « justice de Dieu », autant j’aimais, je chérissais maintenant ce mot si doux. Et c’est ainsi que ce passage des Écritures devint pour moi la porte du Paradis. » C’est ce que l’on appelle « l’expérience de la tour » de Martin Luther, avec comme point essentiel une nouvelle compréhension de ce qu’est « la justice de Dieu ».

Luther héritait d’une compréhension de la justice développée au moyen-âge, par exemple par Abélard. La justice de Dieu, comme la justice féodale, consisterait à récompenser le juste et à punir le coupable. Et même si Anselme de Cantorbery avait inventé à la même époque la théorie de l’expiation ou le Christ aurait été puni à notre place, cette idée d’un dieu punisseur et celle d’une vengeance nécessaire ont des effets nocifs spirituellement, existentiellement et moralement.

Luther se rend compte qu’en réalité il projetait sa propre culture dans sa théologie, avec une notion de justice de Dieu héritée du droit féodal plus que de la Bible. Dans cette démarche de Luther, nous avons un geste intéressant. Pour comprendre de quoi parle la Bible, cela demande un petit effort de décentrement afin de chercher le sens des notions essentielles dans leur contexte de l’époque (pour vous aider, j’ai mis quelques éléments sur le site internet jecherchedieu.ch).

Le jeune Martin Luther avait appris que, selon la justice de Dieu, la faute exige une punition pour laver l’offense. Paul dit que nous connaissons la justice de Dieu par l’Évangile, en Christ venu sauver les pécheurs. Calvin dit que nous découvrons par cet Évangile « le visage de Dieu joyeux et aimable ». Luther découvre que la justice de Dieu consiste en ceci : la faute demande, non pas une punition, mais une action de salut de Dieu. La justice de Dieu est « puissance de salut ». La question n’est plus de punir le coupable, la question n’est même plus celle du pardon du coupable, ou d’expiation sous quelque mécanisme que ce soit. La question est celle d’aider cette personne à devenir meilleure pour la simple raison que Dieu est source de vie et qu’il est fidèle.

En fait, ce que redécouvre Luther en lisant Paul, c’est la notion hébraïque de la justice, la tsedaqah (צְדָקָה) que l’on trouve dans bien des textes de la Bible Hébraïque où le terme de « justice de Dieu » est synonyme d’action de Dieu pour nous sauver (lire par exemple le Psaume 98). C’est au point que dans la traduction de la Bible en grec des LXX (datant de -300 avant Jésus-Christ), le même mot grec (δικαιοσύνη) traduit les notions hébraïques de « justice » mais aussi d’amour, de bonté, de grâce et de salut de Dieu.

La « justice de Dieu » n’est donc pas un événement à craindre, c’est une qualité de Dieu, celle de développer ce qui est juste et bon, précisément là où il y en a besoin. La « justice de Dieu » ne nous « juge » pas, elle nous « justifie », elle nous rend sans cesse un petit peu plus juste nous-même. C’est ainsi que Luther voit dans cette phrase de Paul la porte du Paradis.

La foi : un don de Dieu et un choix de la personne

Seulement, allez vous peut-être penser, selon Paul l’Évangile révèle que la « justice de Dieu » est « la puissance de Dieu pour le salut de tout fidèle ». Tant mieux pour celui qui « est fidèle », celui qui a la foi. Mais les autres ? Ne retrouvons nous pas là une sorte de sélection des justes et d’élimination des injustes ? N’y a-t-il pas là encore un sujet de crainte, comme dans cette dure parenthèse du moyen âge ?

C’est là que la notion de foi mérite que nous nous penchions dessus. La foi n’est pas une notion seulement religieuse, de croire plus ou moins en Dieu ou en telle doctrine. La foi ce n’est pas seulement faire place à l’action de Dieu en nous. La preuve c’est que Dieu est dit avoir la foi, littéralement, même si c’est traduit dans la Bible par Dieu est fidèle, c’est le même mot. La foi est donc une qualité, c’est une façon d’être : loyale et sincère, respectueuse et attentive à l’autre, et donc en ce qui nous concerne respectueuse et attentive, loyale et sincère à Dieu aussi.

Selon Paul, « il n’existe pas un seul juste, pas même un seul » (Romains 3:10). Au sens propre, Dieu seul est juste (à 100%), Dieu seul est fidèle, Dieu seul est fiable. Au sens propre, ce verset « le juste vivra par la foi » ne peut s’appliquer qu’à Dieu seul. C’est Dieu qui vit par la foi. Nous, à la naissance, sommes innocents, certes, seulement nous ne sommes encore ni justes ni fidèles. Dieu commence donc à travailler en nous, par sa « justice » et parce qu’il est « fidèle », à nous donner d’être un peu à son image. Alors peut naître en nous comme un embryon de foi et de justice, nous donnant la possibilité de commencer à choisir d’aimer.

Je pense que c’est pour cela que Paul ne recopie pas exactement la magnifique phrase d’Habaquq « Le juste vivra pas sa propre foi ». Paul ne met pas non plus la variante de ce verset dans les LXX qui dit que «le juste vivra grâce à la foi, à la fidélité de Dieu ». Paul met « Le juste vivra par la foi », la foi tout court, avec l’ambiguïté de savoir si c’est la foi de Dieu ou notre foi à nous qui nous fait vivre. Au début c’est par la seule foi de Dieu nous donnant le pouvoir d’avoir la foi, ensuite c’est aussi par la foi que nous choisissons de vivre et d’être fidèle. Au fur et à mesure que notre foi grandit, c’est l’équipe de la foi de Dieu et de notre foi qui seront à l’œuvre. Avec cela, nous avons un formidable potentiel pour vivre et pour faire vivre. En mettant vraiment la foi et la justice au cœur de notre façon de vivre et d’espérer.

« Éternel, mon cœur dit de ta part : Cherchez mon visage ! C’est ton visage que je cherche, ô Eternel ! »(Psaume 27:8). Dans la confiance.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

Textes :

Romains 1:15-17

J’ai un vif désir de vous annoncer aussi l’Évangile, à vous qui êtes à Rome (ou ailleurs).

16 Car je n’ai pas honte de l’Évangile :
c’est la puissance de Dieu pour le salut de tout fidèle,
du Juif premièrement, puis du Grec,
17 parce qu’en l’Évangile est révélée la justice de Dieu
par la foi et pour la foi,
selon qu’il est écrit : « Le juste vivra par la foi. »

Habaquq 1:1-5, 2:1-4, 3:16-19

1:1 Message vu par Habaquq, le prophète.
2 Jusqu’à quand, ô Eternel?... J’ai crié,
Et tu n’écoutes pas !
je crie vers toi pour dire la violence,
Et tu ne secours pas !
3 Pourquoi me fais-tu voir le mal,
Et contemples-tu l’injustice?
Pourquoi l’oppression et la violence sont-elles devant moi?
Il y a des querelles, et la dispute s’élève.
4 C’est pourquoi l’Écriture est paralysée,
et que la justice n’est jamais choisie;
Car le méchant triomphe du juste,
Et ce sont des jugements tordus qui sont choisis.
5 Voyez, regardez parmi les nations,
Et soyez saisis d’étonnement et de stupeur !
Car est en train d’agir dans votre temps une œuvre,
Que vous ne croiriez pas si on la racontait.

2:1 Je vais me placer à mon poste de garde,
Et je vais me tenir debout sur le rempart,
Et je veillerai pour voir…
Je veillerai pour voir ce que l’Éternel me dira ,
Et ce que je répondrai au sujet de ma plainte.
2 L’Éternel m’adressa la parole, et il dit :
Écris une vision :
Grave-la sur des tables, afin qu’on la lise couramment.
3 Car c’est une prophétie dont le temps est déjà fixé,
Elle marche vers son terme et elle ne mentira pas;
Si elle tarde, attends-la, car elle s’accomplira.
4
Voici, son âme s’est enflée, elle n’est pas droite en lui;
Mais le juste vivra par sa foi...

3:16 J’ai entendu, et mes entrailles sont émues…
je vois les souffrances… mais moi, déjà,
Je veux me réjouir en l’Éternel,
Je veux me réjouir dans le Dieu de mon salut.
L’Éternel, mon Seigneur, est ma force;
Il rend mes pieds semblables à ceux des chamois,
Et il me fait marcher sur les hauteurs.

(cf. traduction La Colombe)

« L'expérience de la Tour » de Martin Luther (vers 1517-1518 ?)

J'avais été saisi par un désir, certes étonnant, de connaître Paul dans l'épître aux Romains, mais ce qui avait jusque là constitué un obstacle n'était pas un sang différent dans les entrailles, mais un seul mot, qui se trouve au chapitre 1er « La justice de Dieu est révélée en l'Évangile ». Je haïssais, en effet, ce terme « justice de Dieu », que j'avais appris, selon l'usage et la coutume de tous les docteurs, à comprendre philosophiquement comme la justice formelle et active, par laquelle Dieu est juste et punit les pécheurs et les injustes.

Or, moi qui vivait comme un moine irréprochable, je me sentais pécheur devant Dieu avec la conscience la plus troublée et ne pouvais trouver la paix par ma satisfaction, je haïssais d'autant plus le Dieu juste qui punit les pécheurs, et je m'indignais contre ce Dieu, nourrissant secrètement un blasphème, du moins un violent murmure, je disais : « Comme s'il n'était pas suffisant que des pécheurs misérables et perdus éternellement par le péché originel soient accablés par toutes sortes de maux par la loi du décalogue, pourquoi faut-il que Dieu ajoute la souffrance à la souffrance et dirige contre nous, même par l'Évangile, sa justice et sa colère ? » J'étais ainsi hors de moi, le cœur en rage et bouleversé, et pourtant, intraitable, je bousculai Paul en cet endroit, désirant ardemment savoir ce que Paul voulait.

Jusqu'à ce qu'enfin, Dieu ayant pitié, et alors que je méditais jours et nuits, je remarquai l'enchaînement des mots, à savoir : « La justice de Dieu est révélée en lui », comme il est écrit : « Le juste vit de la foi » ; alors je commençai à comprendre que la justice de Dieu est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification était celle-ci : par l'Évangile est révélée la justice de Dieu, à savoir la justice passive, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi, selon qu'il est écrit : le juste vit de la foi. Alors, je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l'instant même, l'Écriture m'apparut sous un autre visage. Je parcourais ensuite les Écritures, telles que ma mémoire les conservait, et je relevais l'analogie pour d'autres termes : ainsi, l'œuvre de Dieu, c'est ce que Dieu opère en nous, la puissance de Dieu, c'est celle par laquelle il nous rend capables, la sagesse de Dieu, celle par laquelle il nous rend sages, la force de Dieu, le salut de Dieu, la gloire de Dieu. Alors, autant était grande la haine dont j'avais haï auparavant ce terme « la justice de Dieu », autant j'exaltai avec amour ce mot infiniment doux, et ainsi ce passage de Paul fut vraiment pour moi la porte du paradis.

(Martin Luther, Préface au premier volume des Œuvres latines, édition de Wittenberg, 1545, cf. Œuvres, Labor et fides, tome VII, 1962, pp. 306-307)