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L’enfer, c’est les autres ? Le paradis aussi.

(Psaume 133 ; Éphésiens 4:1-4)

(écouter, écouter le culte, imprimer la feuille)

Culte à la cathédrale Saint-Pierre de Genève,
le dimanche 24 août 2025
prédication du pasteur Marc Pernot

L’enfer ou le paradis ?

« L’enfer, c’est les autres. » écrit Jean-Paul Sartre. Ce n’est pas faux. Il ajoute que l’on évoque parfois « le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les autres. » David, dans ce Psaume 133, nous dit, lui, que le paradis sur terre et la vie éternelle : c’est les autres. C’est vrai aussi. Pourtant David sait que ce n’est pas facile car il a vécu l’enfer avec l’irascible roi Saül, et il a fait connaître un enfer à Bethsabée et à Uri son mari.

David aurait pu dire, avec Sartre : Ah, comme les disputes, les coups par derrière, la volonté de l’emporter sur l’autre, de le juger… comme tout cela est fatiguant, nocif et amer. David nous propose plutôt une montée à partir de cette expérience : Ah qu’il est bon, doux et agréable chaque moment de bonne entente avec d’autres, c’est une bénédiction.

David trace dans ce psaume un chemin possible de l’enfer dont par Sartre à un paradis que Dieu a planté pour nous.

Une montée spirituelle et existentielle

Ce psaume 133 appartient à la série des psaumes des montées : un recueil de prières et de réflexions pour nous aider à nous élever spirituellement. Peut-être aussi serons-nous un petit peu plus "bons et agréables".

C’est donc à une marche, une marche montante à laquelle David nous invite. Cela veut dire aussi que la perfection en ce domaine n’appartient qu’à Dieu et que nous sommes toutes et tous en chemin dans notre évolution ; quelque part entre une sorte de singe un petit peu sauvage, et cet humain tel que Dieu l’espère et qu’incarne Jésus-Christ.

Ce psaume de David nous donne plusieurs pistes pour avancer grâce à des images courantes dans la Bible.

Faire honneur à notre Père commun.

La première clé qui nous est donnée est le fait que David parle de frères (et de sœurs). Il aurait pu parler de paix avec les autres, mais il parle d’union entre frères. Cela nous invite à nous considérer tous comme enfants du même Père ou Mère, qui est Dieu. Il est celui que nous partageons tous, qui est au-dessus de tous même de ceux qui jouent les terreurs, il nous unit et nous rend responsables les uns des autres, et donc de nous entendre un minimum ne serait-ce que pour ne pas lui faire honte par nos disputes ridicules et fratricides.

Une double onction fraternelle et spirituelle…

David introduit alors l’image que cette union fraternelle est comme une huile précieuse répandue sur notre tête, nous dit-il.

L’huile est une image très classique dans la Bible de la bénédiction de Dieu sur notre personne : c’est une onction spirituelle qui fait de nous un ou une christ, nous donnant à la fois une capacité et l’enthousiasme pour faire avancer le bien dans le monde, aussi peu que ce soit.

David mêle ici intimement le fait de recevoir cette onction qu’est l’Esprit-Saint, d’une part, et d’être dans une bonne atmosphère fraternelle, d’autre part.

Cette imbrication que David tisse me semble intéressante et vraie : une foi saine nous donne un peu plus de force pour supporter les autres et pour nous soucier de l’autre. D’une part. Et ne serait-ce qu’un bon moment de communion fraternelle est un terreau favorable pour nous ouvrir à la spiritualité, à ce Dieu qui bénit et nous mobilise pour le service actif. C’est l’effet de la louange.

Nous retrouvons cela dans bien des paroles de Jésus jumelant l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Ou quand Jésus nous invite à prier seuls dans notre chambre porte fermée et que notre prière nous ouvre alors à cette prière : « Notre Père… donne-nous… » et non seulement mon Père donne-moi. Une révolution.

La montée dont parle ce psaume nous invite à marcher sur ces deux jambes (qui veut essayer de monter ne serait-ce qu’au Salève à cloche-pied ?). Marcher est alors bon et agréable, simple comme se remémorer un moment d’union bonne et agréable et nous en réjouir devant Dieu. Simple comme la joie de prier Dieu et, dans la méditation de son amour infini, se surprendre à penser à d’autres et à ce dont ils auraient peut-être besoin. Le lieu où se tissent ces deux attachements, c’est notre vie quotidienne : c’est notre réflexion et c’est notre prière, ce sont nos gestes, petits ou grands.

… dégouline de notre tête à notre barbe.

Le Psaume précise que cette huile de bénédiction coule de notre tête à notre barbe. Ce n’est pas réservé aux barbus d’entre nous car en hébreu le mot « tête » signifie aussi la jeunesse et le mot « barbe » signifie la vieillesse : c’est donc une bénédiction et une vocation pour toute période de notre vie. C’est une éducation qui commence dans l’enfance, c’est un apprentissage pour les jeunes, la personne active progressera encore et c’est dans le grand âge que nous pourrons commencer à mieux saisir ce qu’apportent et la foi et la bonne entente, combien c’est bon, utile et agréable. Chaque jour de notre existence est ainsi une chance de maturation de notre foi et de notre cœur pour les autres. Une bénédiction incroyable.

Notre foi est bénie.

Mais en regardant de plus près le texte, il y a en réalité deux barbes, la seconde étant la barbe d’Aaron, le premier grand prêtre d’Israël, il est le symbole de la religion. L’union fraternelle et la bénédiction de Dieu dégoulinent comme une huile qui coule sur notre barbe d’Aaron, nourrissant la fécondité de notre culte et de notre prière.

C’est pourquoi il est excellent que vous ayez eu ce geste de venir au culte ce matin : vous êtes une bénédiction pour nous, une huile sainte sur notre barbe d’Aaron, renforçant et mobilisant la prière de chacune et chacun, ici même et sur internet. 

Nos actions de solidarité sont bénies.

Voilà que l’huile continue à dégouliner, nous dit David, dégouline jusqu’au bord du vêtement d’Aaron. Son châle de prière était bordé de franges que les juifs appellent les "tsitsit" et qui symbolisent les petits et les grands actes de justice et de bonté que nous pouvons avoir dans notre vie quotidienne. Cette bénédiction dont parle David est une bénédiction sur notre vie intérieure, et de là elle dégouline ensuite sur nos actes de solidarité, qui seront d’autant plus féconds et productifs.

Travailler aux limites

David poursuit en prenant enfin une autre image très connue dans la Bible. Dans ces pays où il ne pleut que rarement, la rosée est comme un miracle venu de l’invisible et portant la vie, à l’image de la bénédiction de Dieu. David utilise cette image pour donner un message prophétique et révolutionnaire. En effet, la rosée, image de la vie que Dieu nous donne, coule habituellement dans les textes depuis Sion, le centre religieux et politique, et dégouline en fleuves d’eau vive irriguant notre existence et l’humanité tout entière. Mais dans ce psaume c’est l’inverse. La rosée vient de l’Hermon, c’est-à-dire de la frontière avec l’ennemi, et cette bénédiction de Dieu va couler et fertiliser même la montagne de Sion. Cette image dit que c’est dans la rencontre avec notre ennemi, à la frontière, quand on a ainsi tenté d’augmenter d’un brin la bonne entente fraternelle, que nous recevons une avancée extraordinaire sur notre vie, notre foi et même sur la galaxie entière.

C’est ainsi en science, en théologie et en éthique : c’est souvent aux limites de nos modèles, là où ils ne fonctionnent plus très bien, que nous pouvons chercher et progresser. C’est aussi quand nous faisons un petit pas de plus vers Dieu, quand cela nous est difficile, quand nous creusons notre théologie sur une question épineuse, c’est quand nous faisons un petit geste qui nous coûte vers une personne : c’est là peut-être que nous recevons de grandir, de nous élever.

Avec discernement et prudence

Cela dit, le psaume est idéaliste mais aussi lucide et prudent : il nous appelle à aller à notre frontière, il ne nous envoie pas non plus à Babylone, au cœur de la grande méchanceté. Nous ne sommes pas, ou pas tous les jours, un Jonas appelé à aller crier dans Ninive. Le Psaume 133 nous propose d’aller à notre frontière, là où nous pourrons aller, pas plus loin. Même Jésus avait cette attention : quand ça commençait à trop chauffer dans un coin, il prenait le large pour aller dans une contrée où il pourrait avancer sa mission tout en ne se mettant pas trop en danger non plus. L’exercice de notre vocation personnelle est ainsi, à la fois déterminé et mesuré. Là encore, l’observation, l’intelligence et la prière sont essentielles pour mesurer nos forces et exercer notre si joyeuse et bonne vocation.

Amen

pasteur Marc Pernot

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Texte Biblique

Psaume 133

1 Psaume des montées, de David.

Voici, oh ! qu’il est agréable, qu’il est bon
pour des frères et sœurs de demeurer unis !

2 C’est comme l’huile précieuse
sur la tête descendant sur la barbe,
sur la barbe d’Aaron,
descendant sur le bord de ses vêtements.

3 C’est comme la rosée de l’Hermon,
descendant sur les montagnes de Sion.

Car c’est là que l’Éternel envoie la bénédiction,
la vie, pour l’éternité.

Éphésiens 4:1-4

Paul : Je vous exhorte donc, moi, le prisonnier dans le Seigneur, à marcher d’une manière digne de la vocation qui vous a été adressée, en toute humilité et douceur, avec patience, vous supportant les uns les autres avec amour, vous efforçant de conserver l’unité de l’esprit par le lien de la paix. Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme aussi vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation.