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Être le semeur, être le semé, être la profondeur de la terre

(Matthieu 13:3-23)

(écouter, culte entier, imprimer la feuille)

Dimanche 20 mars 2022
Culte au temple de Cologny
prédication du pasteur Marc Pernot

Trop souvent, cette parabole de Jésus a été transformée en une leçon de morale qui appelle le fidèle à se dépouiller de lui-même afin de se soumettre entièrement à la volonté de Dieu, ou plus précisément : nous soumettre à ce qui nous est présenté comme telle par des autorités. Cette interprétation ne devrait pas être possible dans le contexte de l’Évangile, car ce n’est pas du tout le genre de Jésus. Il ne vient pas pour dépouiller l’humain, mais pour l’augmenter.

Se dépouiller des soucis ?

Cet appel au dépouillement se trouve plutôt dans les philosophies de Socrate, Marc-Aurèle, Épicure, Lucrèce, Sénèque, ou le superbe Diogène... qui enseignent à se détacher des soucis de toutes les choses extérieures qui nous divertissent de l’essentiel : le soin de notre âme, et la seule bonne joie qui est celle de la sagesse.

Cela ne ressemble pas à la démarche de Jésus, ni à ce qu’il vit lui-même, ni à ce qu’il enseigne. Nous voyons dans les évangiles qu’il est critiqué comme aimant trop manger et boire, ce que rappelle d’ailleurs ce geste de partager du pain et du vin en mémoire de lui. Les adeptes du dépouillement lui préféraient son cousin Jean-Baptiste, lugubre à souhait avec sa frugalité, ses vêtements miteux et son ermitage dans le désert. Jésus n’est pas comme ça et il n’enseigne pas non plus à se détacher du souci de la vie courante pour soi et pour les autres. Au contraire, il avait constitué un cagnotte d’argent pour aider les démunis (Jean 12:6), il relevait les affligés, soignait les malades du corps et de l’âme. Prenait lui-même du temps pour se reposer. Ce sont des choses à gérer aussi.

Cette parabole de Jésus parle de cela

Elle met en scène deux personnages : Le premier est un semeur anonyme. Le second est la personne figurée par le terrain. Avant d’arriver à la conclusion qui montre son brillant avenir, le portrait qu’en fait Jésus est celui d’un homme désespéré. Un homme écrasé par ceux qui lui passent dessus comme s’il était un chemin, piétinant sa dignité, envahissant son espace, méprisant son point de vue, sa créativité, ses besoins et ses rêves. Le terrain, c’est aussi l’homme étouffé par mil catastrophes, angoisses et préoccupations. Le terrain, c’est encore l’homme dont l’existence lui semble être un désert de pierres où rien ne pousse. Ensuite, le terrain n’est pas qu’un homme désespéré, nous dit cette parabole, il est aussi la personne géniale qui est une comme une bonne terre, profonde et riche.

La plupart du temps, dans la Bible, nous sommes appelés à nous reconnaître dans chaque personnage du récit. Il n’y a pas d’un côté les fous superficiels et d’un autre les bons élèves portant du fruit.

Avec cette histoire, Jésus nous appelle-t-il à ne pas nous soucier de nos conditions de vie en ce monde ? Non, au contraire : le bon semeur se préoccupe de l’humain sous toutes ses dimensions, il rend visite et soigne tous les terrains.

La terre

Aucune de ces facettes de l’humain que représentent ces terrains n’est mauvaise en soi.

-Le chemin sur lequel tout le monde passe et où les oiseaux picorent, c’est nous avec notre cheminement de vie, nos rencontres, nos frottements, notre histoire et ce qui nous arrive. Comment faire pour que cela ne nous abîme pas, mais que ce soit un chemin de vie ?

-Les pierrailles évoquent notre surface, nos identités, il nous faut bien une peau pour que nous soyons nous-même sans nous dissoudre dans la masse. Il nous faut même parfois un cuir épais afin de tenir bon, et rester debout.

-Les broussailles sont nos joies et nos moyens, nous ne pouvons tout simplement pas vivre sans gérer cela. Même Jésus, bien sûr, mangeait, buvait, respirait, s’habillait, prenait une barque pour se déplacer et du temps pour se reposer. Cela fait partie de la vie de tout être vivant.

-Et chacun de nous est aussi cette dimension de profondeur de la terre. Notre être est aussi cette profondeur incroyable qui porte en elle une abondance de fruits de vie. Cela va mieux quand on nous l’apprend, car nous ne le savons pas assez, je pense.

Ces quatre dimensions sont toutes bonnes, elle sont l’humain. Seulement, Jésus nous fait remarquer qu’il ne suffit pas que ces dimensions existent, elles ont besoin d’un supplément de quelque chose, dans la profondeur, afin que chacune se porte bien, ainsi que l’ensemble de ces quatre dimensions. C’est pourquoi le semeur sort pour semer. Encore.

Ce semeur est bien sûr une figure de Jésus soignant la personne qu’il croise, ce semeur est une figure de Dieu soignant chaque être vivant directement, et ce semeur est enfin une figure de chacun de nous, car rendre soin de soi et prendre soin de son prochain n’est pas réservé à quelque catégorie de druides ou d’institutions. En Christ, chaque personne est prophète ou prophétesse, porteur et semeur de la Parole de Dieu.

C’est cette « parole » que sème le semeur, nous dit Jésus, pour créer l’humain, ou plutôt afin de poursuivre sa création. Cette expression « parole du Royaume » demande que nous nous penchions dessus, car elle est trompeuse à nos oreilles. On pense à une parole avec des mots, des verbes et des compléments, une parole qui décrirait la réalité ou qui proposerait un projet. Ce n’est pas cela que signifie le mot « parole » ici, il signifie un acte par lequel Dieu agit. C’est une fécondation de notre être. Comme une graine semée : elle vient de l’extérieur et devient une part du champ, une part vivante. De même, Dieu est par définition ce qui nous est le plus étranger puisqu’il est d’une autre dimension que nous, et pourtant ce qu’il nous apporte devient une part de nous-même, devient une dimension de nous. Comme la vie de nos parents s’incarne dans notre propre vie, comme l’amour dont nous avons été aimé par d’autres nous donne d’aimer aujourd’hui à notre façon.

C’est ainsi que la Parole de Dieu est faite chair en nous, comme le dit Jean dans le début de son évangile.

Cette « parole du royaume » n’est pas une connaissance sur Dieu ou sur son royaume, elle n’est pas une parole demandant soumission ou obéissance, mais elle est une puissance de vie, comme le dit Paul (1 Cor 4:20), elle est une fécondation de notre être, elle est une pacification des différentes dimensions de notre être afin d’en faire une équipe.

Si cette « parole » n’est pas faite de phrases, comment l’écouter et la comprendre, comme Jésus nous y invite ? L’écoute est une ouverture, comme celle que le semeur emprunte pour entrer dans notre monde. La compréhension consiste à faire le lien entre ce que le semeur apporte et notre propre être, notre vie, notre personnalité, nos aspirations. Ce n’est pas si difficile. Car ce que Dieu sème en nous est la vie, et nous, nous sommes déjà vivant. Ce qu’il nous apporte est à la fois toujours inouï et en même temps nous sentons que cela nous correspond exactement.

Le semeur

Jésus ouvre sa parabole sur cette bonne nouvelle : « Voici, le semeur est sorti (est déjà sorti) pour semer ». Nous n’avons pas à le supplier pour qu’il vienne, celui qui vient à notre aide. Ce mot « Voici » nous appelle à observer ce réel présent : le semeur est déjà sorti, il est là, et il ne vient pas pour faucher nos menus plaisir, ni piocher nos endurcissements, ni effacer d’un coup de baquette magique ce qui nous fait souffrir, ni labourer de force les profondeurs de notre être. Il vient pour semer : ajouter avec délicatesse en surface, comme une caresse, un supplément de vie possible. Et quel supplément ! Une force pour quand nous sommes piétiné, quand le mal tente de nous arracher le cœur. Une racine profonde arrimant notre être à la vie dans les tempêtes de l’existence. Une élévation qui nous donne de ne pas nous noyer dans la gestion du quotidien.

Dieu, notre semeur est déjà là pour prendre soin de nous. Jésus affirme que dans notre vie, la vie l’emportera, comme sa parabole, d’une abondance de vie. Le semeur est un pro. N’ayons crainte.

Ce personnage du semeur c’est aussi nous-même. Les semailles sont une philosophie de vie. Ce n’est pas à la débrousailleuse ou à la pioche que l’on arrange sa propre vie, et encore moins la vie d’une personne que l’on aime. C’est en sortant et en semant des graines de vie.

La première chose que fait le semeur est de sortir. C’est assez évident du point de vue agricole, le semeur ne va pas ensemencer son champ depuis son salon. « Sortir » est intéressant du point de vue théologique : c’est Dieu qui vient à nous, la question n’est jamais d’obtenir que Dieu nous soit favorable, il l’est déjà. Ce n’est pas Dieu qu’il faut convaincre de sortir pour semer des graines de paix dans le monde. Il le fait. La prière est notre ouverture à nous à la venue de Dieu.

En ce qui concerne nous-même comme un semeur prenant soin de nous-même, c’est un appel à sortir un moment de notre vie quotidienne pour aller visiter les différentes facettes de notre être, c’est ce que nous faisons par le culte, par la prière et par l’étude. C’est un travail dans la profondeur de notre être et la profondeur de nos détresses (Psaume 130). Il n’y a que là, dans ces profondeurs que nous hésitons à visiter, que la vie nouvelle germe. Et elle germera encore.

Ce semeur c’est aussi nous-mêmes cherchant à aider une personne que l’on aime, cela demande aussi de sortir de soi pour aller visiter l’autre qui ne fonctionne jamais tout à fait comme nous.

Que pourrons nous lui apporter ? Nous qui sommes déjà bien en peine pour enlever ne serait-ce qu’un paille dans notre propre œil (Mt 7:3) ?

Les grains semés

C’est ce que nous apprend l’explication que nous donne Jésus, dans un étrange retournement où nous devenons les graines de vie divine semées dans le monde.

La vie n’avance réellement que si nous ne restons pas extérieur comme un semeur envoyant son grain. Dieu lui-même n’en reste pas là, il vient en nous par son souffle de vie. Le Christ s’est donné entièrement pour nous aider à nous ouvrir à Dieu, comme ces graines dont parle ici Jésus, piétinées, picorées, étouffées même si finalement elles portent une abondance de vie. Cet exemple de Jésus n’est pas un appel au sacrifice, mais à l’engagement. Dieu espère que nous n’aurons pas à donner notre vie, bien sûr, car Dieu est du côté de la vie.

Seulement, le Christ nous montre que notre vie est débordante de vie quand nous nous investissons profondément, quand nous y mettons notre réflexion, notre cœur, notre sincérité, nos tripes.

Avec l’aide de Dieu.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

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Texte Biblique

Matthieu 13: 3-23
La parabole du semeur

Jésus parla aux gens de la foule, sur de nombreuses choses en paraboles disant :

Voici, le semeur sortit pour semer.

4 Et comme il semait [les grains], les uns tombèrent près du chemin, et les oiseaux venant, ils les mangèrent.

5 D’autres tombèrent sur la pierraille où il n'y avait pas beaucoup de terre, et aussitôt, ils levèrent grâce au manque de profondeur de la terre. 6 Le soleil s’étant levé, ils furent brûlés et à cause du manque de racine, ils séchèrent.

7 D’autres tombèrent sur les ronces, et les ronces montèrent et l'étouffèrent.

8 D’autres tombèrent sur la terre, la bonne, et donnaient du fruit, l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente.

9 Que celui qui a des oreilles entende.

...

18 Vous donc, écoutez la parabole du semeur :

19 Pour tout humain écoutant la parole du Royaume et ne comprenant pas, le Mal vient et arrache dans son cœur, celui-ci est celui qui est semé près du chemin.

20 Celui qui est semé sur les pierrailles, celui-ci est celui qui écoute la parole, et aussitôt la reçoit avec joie. 21 Mais comme il n'a pas de racine en lui-même, il est de l’instant, venant la détresse ou la persécution à cause de la parole, il tombe aussitôt.

22 Mais celui qui est semé dans les épines, celui-ci est celui qui, écoutant la parole, et le souci de ce temps, et la tromperie de la richesse étouffent la parole, et elle devient sans fruit.

23 Mais celui qui est semé sur la bonne terre, celui-ci est celui qui écoutant et comprenant la parole, celui-ci porte du fruit, l'un en faisant cent, l'autre soixante, l'autre trente.