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Dieu, les menus plaisirs et la joie parfaite

(1 Timothée 6:17-19 ; Genèse 2:7-17 ; Luc 8:5-15 ; Luc 15:3-7)

(écouter l'enregistrement - voir la vidéo ci-dessous)

Culte du dimanche 17 janvier 2016
prédication du pasteur Marc Pernot

Texte de la prédication (vidéo ci-dessous)

La Bible s’ouvre sur le plaisir que Dieu a de contempler, jour après jour, que ce qu’il a créé est beau et bon. Il aime de monde, et il ne se réserve pas l’exclusivité de la joie et des plaisirs, comme le pensaient les grecs. Homère, au VIIIe siècle avant Jésus-Christ raconte que les dieux se réservent les délices de l’ambroisie et du nectar, malheur à celui qui, comme Tantale, est pris à dérober de ces mets divins pour les offrir aux humains. Selon la Bible, le Dieu unique place au contraire l’humain dans le jardin d’Éden, littéralement « le jardin des délices », dans lequel, effectivement, Dieu fait pousser pour lui « des arbres de toute espèce, tous plus agréables à voir et bons à manger les uns que les autres ». Ce texte affirme donc que Dieu veut que l’humain puisse connaître, conserver et même développer les délices, les joies et les plaisirs de la vie.

L’épisode « de la chute » où l’humain mange le seul arbre interdit pourrait être rapproché de l’histoire de Tantale, Adam et Ève soupçonnent Dieu de se réserver jalousement pour lui le délice ultime qu’est cet arbre interdit comme les dieux de l’Olympe se réservaient leurs délices immortels. Il y a une ressemblance, mais il y a une différence manifeste, c’est que dans la vision biblique, ce ne sont pas l’ensemble des délices qui sont interdits aux humains et réservés aux dieux, mais tous les délices sauf un seul sont offerts à l’humain, avec même le loisir et la mission d’en développer de nouveaux. Ce délice interdit est donc plus comme une limite, un mode d’emploi, une saine réserve face à cette abondance infinie des délices offerts par Dieu.

Dans la vision d’Homère, le demi-dieu Tantale est généreux avec les humains, mais les dieux sont égoïstes et jaloux de leurs privilèges. Dans la Genèse, c’est l’inverse. Non seulement Dieu a donné généreusement mais on le voit aussi descendre avec la brise du soir, nous dit la Genèse, pour visiter l’humain, lui offrant ainsi une large dose de liberté mais sans indifférence, assurant le service-après-vente, ou plutôt le service-après-don avec des trésors de pédagogie.

Cette histoire du jardin des délices offert par Dieu à l’humain évoque un tout autre rapport aux plaisirs et à la joie de vivre en ce monde que ce que nous pouvons entendre dire parfois du christianisme : qu’il faudrait ne pas rechercher et même d’écarter la joie et le plaisir comme des choses vulgaires et méprisables, et s’occuper plutôt de son salut éternel. Or, c’est tout l’inverse. L’Évangile est une bonne nouvelle joyeuse qui nous libère de la question de la vie future, ce qui nous permet de nous concentrer sur la vie d’aujourd’hui, sur ce monde que Dieu aime, et sur ceux que Dieu nous confie.

Les plaisirs de ce monde et la joie qu’ils peuvent apporter ne sont pas boudés dans la Bible. Les plaisirs intellectuels et spirituels mais aussi ces plaisirs élémentaires que sont les plaisirs des sens. Par exemple avec Abraham qui prépare un succulent repas pour accueillir les 3 anges, et qui leur donne un instant délicieux en lavant leurs pieds fatigués d’eau fraîche. Imaginez le plaisir que ce doit être ! On voit aussi David composer et jouer de la musique, on le voit danser de joie, composer des poèmes. La Bible nous donne la torride poésie du cantique des cantiques, cette sensualité explicite sert à évoquer la beauté de l’amour mutuel entre Dieu et nous, mais cela nous dit aussi la noblesse du plaisir des corps puisqu’il est digne de servir de métaphore pour dire l’amour de Dieu.

Dans la Bible, nous avons ensuite les Évangiles qui nous rapportent que Jésus est critiqué d’être une personne trop joyeuse, il est traité d’ivrogne et de glouton par les moralistes, qui sans doute préféraient Jean-Baptiste, lugubre à souhait avec sa frugalité, avec l’inconfort de son ermitage dans le désert, avec ses reproches et ses lamentations, et sa foi brûlante qui ne laisse pas de place aux plaisirs de ce monde.

Ce n’est pas le genre de Jésus, donc, mais pour autant, Jésus n’est pas un hédoniste, cultivant la recherche du plaisir. Cette philosophie de vie existait depuis des siècles à son époque, on voit d’ailleurs des philosophes épicuriens entrer en débat avec l’apôtre Paul (Actes 17). Il arrive à Jésus de prendre un temps de jeûne ponctuel pour accompagner sa réflexion et sa prière, on le voit aussi à plusieurs reprises poursuivre sa mission sans boire ni manger, surprenant par exemple sa mère et ses frères qui débarquent en plein milieu d’un sermon pour le forcer à s’alimenter... Mais Jésus sait jouir d’un bon repas dans une maison de riches comme celle de Zachée, de Simon le pharisien, ou de Marthe.

Jésus ne méprise donc pas les plaisirs de ce monde, ni n’enseigne à s’en détacher. En réalité, il en parle peu et cela tranche avec le rapport que pouvaient avoir les penseurs grecs qui traitent avec attention la question des plaisirs dans leur philosophie morale. Jésus en dit quand même un mot dans son explication de la parabole du semeur. Il constate seulement que les plaisirs de ce monde peuvent étouffer la bonne graine de la Parole de Dieu semée en nous. C’est une évidence, mais les soucis sont pour Jésus tout aussi dangereux que les plaisirs et les richesses dans cette parabole de Jésus. Celui qui se mettrait en soucis pour éviter les plaisirs de ce monde serait tout autant à côté de la plaque que celui qui les recherche ardemment.

Ce qui est tombé parmi les épines,
ce sont ceux qui, ayant entendu la parole, s’en vont,
et la laissent étouffer par les soucis,
les richesses et les plaisirs de la vie,
et ils ne portent pas de fruit qui vienne à maturité.

Il y aurait donc un danger d’enfermement, d’étouffement de notre dynamique vitale. Jésus ne propose pas d’éliminer la richesse et les plaisirs mais il nous invite à en chercher le mode d’emploi, et à soigner notre jeune pousse de Parole de Dieu.

Le récit de la Genèse avait commencé à chercher un mode d’emploi des plaisirs de ce monde, nous proposant de réviser leur statut dans notre vie. La question pointée par l’histoire du jardin des délices offert par Dieu est de ne pas prendre notre propre plaisir comme critère d’évaluation du bien et du mal. Ce serait se tromper de cible. C’est au sens propre un péché car en hébreu le verbe pécher est littéralement « se tromper de cible ». Le problème du péché n’est pas d’offenser Dieu, il en a vu d’autre, mais c’est de mal placer sa foi, son espérance et ainsi de passer à côté de la vie. Pauvre Don Juan, prisonnier de sa course folle. Le plaisir serait ainsi un fort mauvais but dans la vie, un mauvais critère d’évaluation de la valeur d’un choix que nous pourrions faire. Il y a des activités pénibles qui nous laissent fourbu mais heureux et rendu meilleur ; il y a aussi des plaisirs qui nous laissent écœuré, déçu, aigri et méchant. Inversement, il y a des soucis qui nous cassent, et des plaisirs qui, bien valorisés, sont pour nous une source de joie et même qui nous élèvent l’âme !

Dans la parabole de Jésus, trois réalités peuvent devenir comme des ronces étouffant la vitalité de l’action de Dieu : les soucis, les richesses et les plaisirs de ce monde. Au contraire, Dieu peut transformer nos soucis, féconder notre richesse, et domestiquer notre recherche de plaisir en ce monde. Il y a là un retournement rendu possible par un changement de visée. Alors le plaisir peut être effectivement une bénédiction.

Le Psaume 23, le plus connu de la Bible, nous montre d’abord l’humain comme vivant dans les verts pâturages traversés de ruisseaux paisibles du paradis. Et cette abondance de délices est transformée par Dieu en énergie pour avancer dans ce que notre vie a de paradisiaque mais aussi dans sa part d’ombre et de mort, avec une force inconnue pour traverser cet épisode où la vie devient horrible. Ce Psaume de David reprend la Genèse mais positivement, quand le plaisir n’est pas pris comme un but à notre vie mais comme un simple cadre de vie. La permanence est du côté de l’action de Dieu, elle n’est alors étouffée ni par les plaisirs ni par les soucis d’en manquer.

Jésus, lui, sait jouir de l’abondance et supporter d’en manquer. Comment fait-il ? C’est toute la question que cherchaient à résoudre bien des philosophes attachés aux plaisirs. Le soucis d’en manquer est alors un problème crucial, car la réalité est cruelle, le juste comme le pécheur peuvent être frappés par des difficultés imprévisibles même pour les plus sages. Alors que proposent nos philosophes ?

Aristote propose la modération, la tempérance, afin de ne pas mettre tous nos œufs dans le même panier, si je puis dire, et de plutôt mettre la priorité sur les plaisirs supérieurs de l’esprit, qui sont plus stables que les plaisirs élémentaires du corps.

Épicure propose de dépendre le moins possible de l’extérieur, un peu comme dans ce jardin clos d’Éden, et de vivre ainsi, retiré, désirant le moins possible afin de vivre du simple plaisir d’exister. Cela s’approche un peu de la voie du bouddhisme.

Le Christ n’est pas un moraliste, mais on le voit vivre, surmontant le manque et faisant quelque chose de l’abondance quand elle se présente, on le voit vivre l’une comme l’autre de ces expériences au souffle de l’Esprit et en faire de toute façon une source de conversion, un élan de créativité et de bonté. Le christianisme aime ainsi la joie mais ce n’est pas un « hédonisme », c’est à dire une philosophie qui cultive le plaisir comme un but ou un critère de réussite. Le plaisir est agréable et c’est un moyen, un carburant pour un bon mouvement. Comme d’ailleurs la peine l’est aussi, quand elle survient malheureusement. Jésus surmonte le manque, non sans peine, lors de ses dures tentations (Mt 4:1) ou à l’approche se son arrestation (Mt 26:38). Et il nous donne son truc : les traverser avec Dieu, comme un enfant serre la main de son père et de sa mère quand ça ne va pas, et crier à lui si l’on se met à douter de lui dans un creux plus terrible que d’autres (Mt 27:46).

Et Jésus fait de l’abondance une opportunité pour de belles choses, pour avancer, pour reprendre des forces, pour communier avec des personnes très diverses, à l’occasion de pique-nique sur l’herbe, de promenades en montagne ou des multiples fêtes et banquets bien arrosés.

La question n’est donc pas de mépriser les plaisirs comme étant néfastes puisque ce sont des dons de Dieu. La question n’est pas non plus de leur préférer des joies plus profondes comme celle de la foi, ce serait réduire Dieu au niveau élémentaire d’un de nos petits plaisirs. Mais il est possible de laisser Dieu faire quelque chose de génial de ces plaisirs.

Un plaisir est une chose minime, souvent, de sorte que l’on passe facilement à côté sans le voir si l’on ne fait pas trop attention ou si l’on est trop fixé sur ce que l’on désire absolument. C’est presque rien, un plaisir, chatouillant une des dimensions de notre être, quelque chose de bon, de beau, de rigolo, d’intéressant ou d’élevé, un sentiment... un seul de nos sens est peut-être touché mais nous sommes une seule personne, et si l’on se concentre un instant, le petit plaisir peut infuser dans notre être et nous réjouir un peu. Si l’on en fait une occasion de louange à Dieu alors c’est une chance d’avancer comme dans le Psaume 23. Un petit plaisir fugace devient ainsi un état de notre être un petit peu plus élevé et plus dynamique, plus fort et plus souriant, plus bienfaisant.

Alors, on peut parler de joie, au sens propre, comme passage à un état plus parfait de notre être. Comme le dit Jésus dans sa parabole de la brebis perdue : Il y a de la joie au ciel pour la plus infime des conversions. La joie au ciel, c’est la joie de Dieu qui se réjouit de nous voir avancer. Mais c’est aussi pour la brebis elle-même, une joie « du ciel », une joie supérieure et durable, celle de franchir un palier.

Ce changement de niveau est exprimé dans le Psaume 23 comme une onction d’huile, ce qui signifie le sentiment d’être bon à quelque chose et d’avoir envie de l’exprimer de belle façon, un peu à l’image du Dieu qui plante un jardin des délices pour Adam. Jésus exprime cette joie « du ciel » plus clairement, soulageant ses disciples qui en avaient un peu assez de l’entendre parler par des gestes, des images et des énigmes. Jésus parle alors de la joie parfait qu’il y a à se laisser construire par l’amour de Dieu comme capable de se vouloir mutuellement du bien, et il parle alors de « joie parfaite » (Jean 15 :11). Cette joie ouvre sur une autre dimension, celle des autres pour donner et se laisser apporter par les autres, à l’inverse du jardin clos d’Épicure. Cette joie est un enthousiasme pour avancer, comme Jésus traversant les obstacles de la haine, de la tristesse et même du sentiment que Dieu l’aurait abandonné. Traversant les vallées d’ombre et de mort. Ne tenant pas compte de la sage leçon d’Aristote d’être dans la modération & la tempérance.

Cette joie de Jésus le rend meilleur, plus aimant et plus enthousiaste. Et son service, même quand il est difficile le rend plus joyeux.

Si la quantité de plaisir n’est pas un bon critère d’évaluation de notre vie et de nos choix, cette joie là, celle de la conversion à un état un peu plus élevé de notre être et du monde, peut être un meilleur critère. Est-ce que notre façon de vivre nous donne de la joie ? Au sens de cette joie qui accompagne le fait de devenir un peu meilleur, un petit peu comme un enfant qui grandit ?

Car il existe des plaisirs et même des joies qui laissent un goût amer, qui suscitent en nous de la tristesse, ou un écœurement, ou qui engendrent en nous de la colère et de la haine. Il existe une façon de faire ce que nous pensons être notre devoir qui nous rend plus mauvais, alors que ce semble être un acte généreux, ou un acte de foi, ou de justice. Il est alors grand temps de nous organiser autrement, d’entrer dans une autre spirale, montante.

Dieu est là pour cela, nous avons un bon berger, un semeur de joie parfaite.

 

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Lecture de la Bible

1 Timothée 6:17-19

Recommande aux riches du présent siècle de ne pas être orgueilleux, et de ne pas mettre leur espérance dans des richesses incertaines, mais de la mettre en Dieu, qui nous donne avec abondance toutes choses pour que nous en jouissions.

18 Recommande-leur de faire du bien, d’être riches en bonnes œuvres, d’avoir de la libéralité, de la générosité, 19 et de s’amasser ainsi pour l’avenir un trésor placé sur un fondement solide, afin de saisir la vie véritable.

Genèse 2:7-17

L’Eternel Dieu forma l’humain de la poussière de la terre, il souffla dans ses narines un souffle de vie et l’humain devint une être vivant. 8 Puis l’Eternel Dieu planta un jardin des délices, du côté de l’orient, et il y mit l’humain qu’il avait formé.

9 L’Eternel Dieu fit pousser du sol des arbres de toute espèce, agréables à voir et bons à manger, et l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal...

15 L’Eternel Dieu prit l’humain, et le plaça dans le jardin des délices pour le cultiver et pour le garder.

16 L’Eternel Dieu donna cet ordre à l’humain : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin; 17 mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement.

Luc 8:5-15

Voici ce que signifie cette parabole du semeur, dit Jésus :

La semence, c’est la parole de Dieu.

12 Ceux qui sont le long du chemin, ce sont ceux qui entendent; puis le diable vient, et enlève de leur coeur la parole, de peur qu’ils ne croient et soient sauvés.

13 Ceux qui sont sur le roc, ce sont ceux qui, lorsqu’ils entendent la parole, la reçoivent avec joie; mais ils n’ont point de racine, ils croient pour un temps, et ils succombent au moment de la tentation.

14 Ce qui est tombé parmi les épines, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole, s’en vont, et la laissent étouffer par les soucis, les richesses et les plaisirs de la vie, et ils ne portent point de fruit qui vienne à maturité.

15 Ce qui est tombé dans la bonne terre, ce sont ceux qui, ayant entendu la parole avec un coeur honnête et bon, la retiennent, et portent du fruit avec persévérance.

Luc 15:3-7

Jésus leur dit encore cette parabole : 4 Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis, et qu’il en perde une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la trouve?

5 Lorsqu’il l’a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules, 6 et, de retour à la maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé ma brebis qui était perdue.

7 De même, je vous le dis, il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui change de mentalité, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de changer.

(Cf. Trad. NEG)

 

Vidéo de la partie centrale du culte (prédication à 11:02)

(début de la prédication à 11:02)

film réalisé bénévolement par Soo-Hyun Pernot