(écouter, écouter le culte, imprimer la feuille)
culte au temple de Vandœuvres,
le samedi 9 février 2025,
prédication du pasteur Marc Pernot
La semaine dernière, j’ai rencontré un jeune homme qui m’a posé une question qui vous étonnera peut-être. Cet homme se sentait comblé de chances dans sa vie et, du coup, il se demandait, en conscience et devant Dieu, comment vivre cela ? On pense plus souvent à la difficulté qu’il y a à surmonter une abondance de malheurs, je vous proposerai de réfléchir à cela dans la prédication suivante. Mais en premier lieu, je vous propose de nous pencher sur la question, en réalité essentielle, de cet homme. Il est exact, objectivement, qu’il a tout : beau comme un dieu, en pleine santé, athlétique, excellent en ski et en alpinisme, il est sensible à l’art, il réussit les meilleures études, il a un bon cœur naturel, il appartient à une famille aimante, croyante, intelligente et très aisée, il est dans un pays en paix et au climat tempéré…
Comment vivre le fait d’être comblé de chances dans sa vie ? Se poser la question montre qu’il a une conscience. Ce n’est pas évident car notre propre situation devient naturellement une normalité pour nous. Ce n’est pas le cas de cet homme, et je pense que sa foi n’y est pas pour rien, et son intelligence, aussi : l’une et l’autre permettent une mise en perspective de notre situation. C’est vrai que quand nous plaçons notre vie devant Dieu dans la prière, quand nous nous attachons à la louange, nous pouvons mieux sentir ce qui nous vient comme une grâce, au-delà de notre propre travail, et nous sentir reliés aux autres.
Comment vivre la conscience d’être comblé de chances ? Ou « comblée de grâces »(Luc 1:28), comme l’ange le fait remarquer à Marie? C’est une question sérieuse qui peut être rapprochée des difficultés que connaissent les personnes qui ont survécu à une catastrophe et qui sont frappées de ce que l’on appelle le syndrome du survivant. Avoir eu la chance de réchapper à un évènement tragique est évidemment quelque chose de positif, mais cela peut devenir un véritable souci pour les survivants. On peut ressentir cette faveur ou cette chance comme le poids d’un devoir la payer. Ce sentiment vient en partie du fait que les hasards de la vie nous angoissent et que nous préférerions plus ou moins inconsciemment comprendre et maîtriser la chance. Ce sentiment vient peut-être aussi du fait que nous sommes imprégnés par le commerce d’échange de biens et de services, c’est apparu dans l’humanité il y a deux millions d’années, quand-même, parce que tout le monde ne savait pas fabriquer un bon tranchant en pierre taillée ou tanner une peau bien souple : pour avoir quelque chose, on ne le vole pas, on doit quelque chose en échange. Christ a lui-même sans doute pratiqué cela quand il était artisan charpentier, mais il insiste en parallèle sur un autre type d’économie, celle de la grâce, sur un autre type d’économie, celle de la grâce, qui est elle aussi créatrice de valeurs, d’un autre ordre. La grâce est créatrice d’être plus que d’avoir (il nous faut les deux pour vivre, évidemment), créatrice de qualité d’être et d’amour, pas seulement de transactions. Cette logique de la grâce est plus ancienne que celle du commerce, elle a en réalité toujours existé entre des parents et leur enfant, ainsi qu’entre Dieu et sa création.
Le Christ s’inscrit dans la logique de la grâce, celle de l’amour gratuit, il en fait la base de sa théologie, tout en reconnaissant celle de l’échange (voir le « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu »). Nous ne mesurons pas assez, je pense, les applications pratiques de cette logique de la grâce pour notre façon d’être et de vivre, combien elle importe. En particulier pour la question de ce jeune homme.
Cet homme a reçu ces dons sans les demander, sans rien promettre en échange, ainsi qu’en travaillant dur. Cela sort de l’économie du donnant-donnant. D’ailleurs, si l’on plaçait sa question sous l’angle de devoir payer en échange de ces grâces déjà reçues, cela conduirait de toute façon à une impasse, car comment pourrions-nous rembourser le fait d’être vivant ? Ou le fait d’être aimé ? Impossible, car cela n’a pas de prix. C’est ce qu’explique Jésus dans sa parabole du chameau qui aimerait passer par le trou d’une aiguille : il pourrait bien donner tout ce qu’il porte sur son dos et faire un régime de mannequin, cela ne passerait pas. Jésus conclut que c’est impossible à l’humain, mais que c’est possible à Dieu : seule l’économie de la grâce peut fonctionner dans le domaine de l’être et de la profondeur de l’être, dans le domaine de la « vie éternelle », la vie au-delà du matériel. Du coup, quand nous nous plaçons dans la logique du donnant-donnant pour nous sentir digne d’avoir tant reçu : c’est fatalement désespérant. C’est ce qu’a expérimenté par exemple Martin Luther, cette logique l’avait conduit à aller aussi loin que possible dans les privations, dans l’ascèse, dans le don de soi sans qu’il puisse trouver l’apaisement. C’est grâce à une expérience spirituelle, ainsi qu’à son intelligence de théologien augustinien, qu’il a pu saisir que c’est par la grâce seule que cette question peut être considérée.
Comment vivre le fait d’être comblé de chances, de bénédiction, d’amour, comblé de grâces ? En le recevant comme un cadeau, en ayant de la joie et de la gratitude. Il est bon, premièrement, de se décharger du syndrome du survivant, ou du syndrome de celui qui est « comblé de grâces » ou qui a seulement de la chance par rapport à d’autres.
C’est plus facile à dire qu’à faire. C’est pourquoi Jésus nous apprend, dans son « Notre Père », à demander à Dieu de nous aider dans cette conversion de notre logique, passant de la logique du donnant-donnant à la logique de la grâce seule. En effet, la traduction « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensé » est redoutable, elle peut laisser supposer un chantage de la part de Dieu. Il n’en est rien, c’est même tout l’inverse. Littéralement, cette prière du Christ demande à Dieu de nous libérer de la logique de la dette, du donnant-donnant, dans notre relation à Dieu, dans notre relation aux autres, dans notre rapport à notre propre vie. Que s’établisse en nous le régime de la grâce et du don gratuit par amour de l’autre, tout simplement.
C’est la première raison qui fait qu’il est mortifère de penser que nos grâces nous imposeraient un devoir moral. Cela torpille en profondeur la grâce de Dieu et cela place sans cesse la personne sous le poids d’une dette insolvable. [C’est d’ailleurs pour cela que des prédicateurs utilisent parfois ce levier afin de pousser leurs fidèles à faire preuve de plus de docilité et de générosité. Ces prédicateurs s’appuient parfois sur ce verset où Jésus dit : « On demandera beaucoup à qui l’on a beaucoup donné » (Luc 12:48), comme si Jésus niait tout d’un coup sa propre théologie et son éthique de la grâce, alors que ce verset ne parle pas des chances que nous avons reçues mais de notre vocation : à celui à qui il a déjà été donné beaucoup de missions à accomplir, on lui en donnera encore d’autres.]
Il y a une seconde raison qui fait qu’il serait nocif de se sentir en dette pour les grâces et les chances que nous avons reçues : c’est ce que développe l’apôtre Paul quand il dit « Quand je distribuerais tous mes biens, même si je livrais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, je ne sers à rien. » C’est l’amour qui est créateur d’être. La motivation de l’acte est essentielle. Quand nous agissons par amour, cet acte appartient au régime de la grâce, et cela produit de l’être et de la qualité d’être, ce dont notre monde manque à en crever. Paul dit que si l’on agit avec une générosité extrême sans amour, cela ruine la cause. C’est ce qui arrive quand nous agissons seulement pour répondre à une sourde culpabilité d’avoir tant de chance, ou pour répondre à un supposé devoir, ou par la crainte superstitieuse que la chance tournerait, que Dieu se lasserait de nous avantager si nous ne commencions pas à rendre un petit peu de ce que nous avons reçu. Cette logique nous place sous le régime du donnant-donnant, avec une théologie d’un Dieu sans amour, adepte du marchandage, comme avec cette obscure théorie du karma. Cela torpille la puissance de vie qu’est l’amour, qu’est la grâce, le don gratuit qui n’engendre pas de dette.
Pourtant, ce ne serait pas mal quand même que la personne qui pourrait aider son prochain pense à donner de temps en temps un coup de main. C’est vrai, et Paul le dit aussi, c’est même pour cela qu’il cite l’action généreuse dans ce passage sur l’amour. Seulement, il insiste sur la motivation qui nous amène à le faire. Il est essentiel que cela nous vienne par amour. Et donc sans pression, hors de tout devoir. Que cela nous vienne du fond de nous-mêmes. De notre bon fond éveillé.
C’est pourquoi la gratitude, la joie de vivre, le bonheur sont la première étape dans ce cheminement de la grâce reçue à la grâce offerte.
Cela commence par la connaissance de ce que nous avons reçu. La vie en ce monde comprend une sérieuse part de hasard, et les chances ne sont effectivement pas distribuées également dans la loterie de la vie. Nous avons en tout cas tous la chance aujourd’hui d’être vivants ainsi que la chance d’être aimés par Dieu et d’avoir reçu le meilleur qu’est notre moi. Le premier point est de n’oublier aucun de tous ces bienfaits (Psaume 103) . Étant dans la logique de la grâce, cela nous permet de transformer nos chances en gratitude à Dieu, à la vie, à ceux qui nous ont apporté quelque chose, à notre travail, à mille coïncidences et à de belles rencontres. Rendre grâce, s’en réjouir, être heureux. Laisser notre cœur plein et chaud s’éveiller à la vie, sentir peut-être alors telle ou telle occasion d’aimer et d’apporter quelque chose. C’est cela qui transforme le monde, qui fait grandir la justice par l’amour. Cela permet aussi que la personne aidée sente que c’est par grâce que cela lui arrive.
Amen
Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.
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Jésus, regardant autour de lui, dit à ses disciples : Qu'il est difficile à ceux qui ont des biens d'entrer dans le royaume de Dieu ! 24Les disciples étaient effrayés par ses paroles. Mais Jésus reprit : Mes enfants, qu'il est difficile d'entrer dans le royaume de Dieu ! 25Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. 26Les disciples, plus ébahis encore, se disaient les uns aux autres : Alors, qui peut être sauvé ? 27 Jésus les regarda et dit : C'est impossible pour les humains, mais non pas pour Dieu, car tout est possible pour Dieu.
Jésus : Voici donc comment vous devez prier : « Notre Père qui es dans les cieux ! Que ton nom soit reconnu pour sacré, 10que ton règne vienne, que ta volonté advienne – sur la terre comme au ciel. 11Donne-nous, aujourd'hui, notre pain pour ce jour ; 12 remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs ; 13ne nous fais pas entrer dans l'épreuve, mais délivre-nous du Mauvais.
Quand je parlerais les langues des humains et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis une pièce de bronze qui résonne ou une cymbale qui retentit. 2Quand j'aurais la capacité de parler en prophète, la science de tous les mystères et toute la connaissance, quand j'aurais même toute la foi qui transporte des montagnes, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien. 3Quand je distribuerais tous mes biens, quand même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai pas l'amour, cela ne me sert à rien.