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Comment, par 3 fois, Jésus se convertit ?

(Matthieu 4:12-23)

(écouter, culte en entier, imprimer)

Dimanche 2 février 2020
À Genève - Malagnou
prédication du pasteur Marc Pernot

Il me semble utile de saisir le mode d’emploi des paroles de Jésus. Elles sont bien souvent extrêmes : il pousse le bouchon si loin que ses commandements sont irréalistes, et donc tels quels inapplicables. Par exemple quand il dit de « ne pas résister au méchant » (Matthieu 5:39), ou « si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres. »( Matthieu 19:21) ce qui est impossible puisqu’il nous faut bien garder pour soi quelque chose si l’on veut vivre : au moins un petit peu d’air, d’eau et de pain. Cette façon de parler qu’emprunte Jésus présente un idéal infini, celui de Dieu lui-même : «Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. » (Matthieu 5:48), nous dit Jésus en résumé.

Et cette façon de nous proposer des règles est à la fois inspirant et extrêmement libérant. Nous avons une orientation, et en même temps elle n’est pas culpabilisante puisque personne ne peut nous en vouloir de ne pas être parfait.

Oui, mais encore. Concrètement, comment vivre cet idéal ? Jésus l’explique dans le passage que nous avons entendu, il le faut bien car il va envoyer ses disciples dans le monde, il doit les former, les préparer, au choc entre l’idéal dont il les abreuve et la réalité qu’ils vont rencontrer.

Comment faire alors ? Ce n’est plus une Loi au sens de 613 articles à appliquer à la lettre près, ce que Jésus propose est une méthode, c’est une philosophie, c’est une inspiration, un appel à la sagacité, au bon sens :

« Moi, je vous envoie
comme des brebis au milieu des loups,
soyez donc avisés comme les serpents
et purs comme les colombes.
Gardez-vous des humains. » (Matthieu 10:16-17)

Incroyable, non ? ce « gardez-vous des humains » dans la bouche de Jésus, alors qu’il est si proche de chaque personne, et alors-même qu’il est en train d’envoyer ses disciples vers tous, juifs et païens. Cela montre que la Bible se lit en mettant les divers passages en échos, en contrepoint les uns des autres.

Le monde réel

En particulier en ce qui concerne la façon dont nous sommes appelés à vivre en ce monde, en ce monde réel. Il n’est pas un monde de violence, de ténèbres et de perdition comme le prêchent certaines églises pour nous nous détourner de ce monde. Ce monde n’est pas non plus un monde idéal habité de bonnes personnes. Ce monde est ni l’un ni l’autre, il est mitigé : il est l’un et l’autre. Nous sommes envoyés dans ce monde réel que Dieu aime (Jean 3:16) vers des personnes que Dieu aime infiniment. Aimer ces personnes et ce monde comme Dieu nous y invite ne veut pas dire y aller sans prendre garde à nous-même. Manifestement, selon Jésus, « aimer son prochain » n’impose pas d’être naïf, bien entendu. Si ça chauffe trop à tel endroit : déplacez-vous, conseille Jésus, sinon, on ne risque pas d’aimer qui que ce soit bien longtemps. Même si on n’en meurt pas comme le pauvre Jésus (et bien d’autres), je connais d’innombrable personnes qui m’ont dit s’être coupées du monde après s’être fait méchamment trahir.

Peut-être faut-il précisément d’autant plus « se garder » que l’on ouvre son cœur à son prochain ou à un groupe ? En même temps je pense que cela a dû être dur pour Jésus de dire cela, combien cela nous tord le cœur, la tête, et notre idéal rêvant de confiance et de belles amitiés.

Il me semble que l’Évangile du Christ nous propose de garder cet idéal de belles relations, garder cela comme une visée tout en sachant que nous sommes dans le monde réel, que nous ne sommes pas encore dans le monde idéal messianique, nous dit Jésus(v 23). C’est avec Dieu que nous pouvons avoir cette ouverture totale, en confiance, car avec lui nous n’avons pas l’ombre d’une crainte d’être trahi, abandonné, méprisé, blessé, dévoré.

Pour le reste, c’est vrai qu’en ce qui concerne les réalités de ce monde, le compte n’y est pas.

Des brebis au milieu des loups

Voici ce que nous propose Jésus dans cette situation : « Moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, soyez donc avisés comme les serpents et purs comme les colombes. »

Voilà le conseil que Jésus nous donne pour vivre notre imperfection dans ce monde imparfait peuplé d’humains imparfaits. Et d’arriver à vivre, à aimer et à servir dans ces conditions.

Avec son « moi je vous envoie » dans le monde. Nous voyons que se « garder des humains » n’est pas s’en détourner, puisque reste l’amour de ce monde et des humains tels qu’ils sont, à l’image de ce Dieu qui nous inspire. Reste aussi une espérance de progrès possible.

Jésus nous explique comment faire avec cette première paire d’animaux : « comme des brebis au milieu des loups ». Cela ouvre à bien des réflexions pour vivre cet entre-deux où nous sommes.

Qu’est une brebis pour un loup ? C’est son repas. Par conséquent, ce « comme des brebis au milieu des loups » nous dit comment Jésus nous invite à servir une personne que nous espérons aider : que notre être, notre parole et notre action soit nourrissante pour l’autre ! C’est ainsi que le Christ explique sa façon d’être Christ en ce monde : comme un pain de vie offert pour que nous le mangions(Jean 6:48-58), que sa parole et sa manière d’être, nous inspire, que nous l’assimilions, que le monde s’en nourrisse et porte son propre fruit(Jean 15:5-11). Cette façon d’envisager l’action de salut du Christ en ce monde est un mode alternatif par rapport au Messie que bien des textes annonçaient : un nouveau David triomphant par les armes, un nouveau Moïse triomphant par une Loi nouvelle, un nouvel Aaron ou Melchisédek triomphant par la religion, un nouveau Salomon imposant sa sagesse. Ces modèles auraient été autant de loups triomphants sur les stupides et faibles brebis. Et bien non. Christ transforme le monde, et Christ nous envoie transformer le monde en étant comme des brebis au milieu des loups, et même au-dedans du loup, nourrissant ce loup, son intelligence, sa capacité à aimer. Et que finalement les loups deviennent des loups gentils comme dans la prophétie bien connue d’Ésaïe, prophétie répétée à plusieurs reprises pour parler des temps messianiques « Le loup et l’agneau paîtront ensemble » (Ésaïe 11:6; 65:25)

« Comme des brebis au milieu des loups » est un programme d’action, valable pour l’église aussi, non pour capturer les gens, ni leur dire que penser, ou que faire, pas non plus pour leur faire passer un bon moment, les distraire. Plutôt s’offrir soi-même en nourriture l’autre. C’est pourquoi le pélican est une figure du Christ dans dans l’iconographie chrétienne pour dire comment le Christ nous sauve. Ce « Comme des brebis au milieu des loups » est un programme d’action visant à développer l’être de la personne que l’on désire aider, la nourrissant de l’intérieur au lieu de la formater de l’extérieur.

En même temps, ce « Je vous envoie c omme des brebis au milieu des loups », est une vision réaliste, non naïve du monde et des relations humaines. C’est là que le « gardez-vous des humains » de Jésus est intéressant, ainsi que l’encouragement à fuir ailleurs si l’on est trop persécuté. Nourrir le loup n’est donc pas se laisser détruire par le loup (en général).

Une autre difficulté est que nous sommes nous-mêmes à la fois brebis et loup. Et c’est cet être que Jésus considère comme digne d’être envoyé pour sauver le monde. Ce n’est pas seulement des autres humains que nous avons à nous garder, c’est aussi de l’humain que nous sommes. En nous, il y a un loup pas très civilisé, réagissant à l’instinct, et que nous sommes bien incapables de domestiquer ; il y a aussi un agneau. Et c’est lui que le Christ voit, lui que le Christ envoie, sur lui qu’il compte. Pour cela, le Christ travaille, comme annoncé par Ésaïe, à réconcilier ce loup et cet agneau en nous-même afin qu’à la douceur de l’agneau soit associée la force du loup. Avec un peu de malchance, le loup en nous pourrait détruire l’agneau c’est ce qui peut arriver si l’on laisse flotter les choses. Il pourrait arriver aussi qu’au lieu de garder la gentillesse de l’agneau et la force du loup, nous devenions l’inverse : un hybride mêlant la stupidité de la brebis et la férocité du loup ! Heureusement, le pire n’est pas toujours certain, le meilleur est possible. Il est pas seulement rêvé, il est en préparation par Dieu qui nourrit le meilleur en nous.

Serpent et colombe

Comment travailler cette complexité ? Jésus dit : « Soyez donc avisés comme les serpents et purs comme les colombes. » :

Le sens pratique et l’Esprit-Saint

Entant qu’humain de cette terre, Jésus nous appelle à être « avisé », certaines traductions mettent « rusé », « intelligent » ou « prudent ». Comment savoir le sens ici du mot grec φρόνιμος ? Il n’est pas très utilisé dans la Bible, toujours dans un sens positif, par exemple pour la sagesse de Salomon. Cela permet d’évacuer la traduction de « rusé » qui est sous influence de la mauvaise réputation du serpent dans la Bible. Ce mot φρόνιμος est plutôt un mot de la culture grecque, en particulier d’Aristote qui met en lumière cette vertu dans l’Éthique à Nicomaque (VI:5-13). Il la distingue de la prudence qui consiste à penser à son propre intérêt, il la distingue de la sagesse qui est une connaissance théorique de ce qui est idéal. La φρόνιμος est une capacité à discerner la meilleure voie possible pour avancer vers le bien, dans une situation concrète. Cette vertu est un mélange de sagacité, de bon sens, d’intelligence pratique. Elle s’appuie sur une observation lucide de la situation, sur la mémoire et l’expérience, sur la capacité à prendre conseil, sur la souplesse d’esprit à accepter de nouveaux possibles, sur l’élévation permettant d’être objectif. Et sur le courage afin de ne pas avoir peur.

Jésus nous appelle donc à travailler cette sagesse pratique-là. Je pense que la prière face à un Dieu avec qui nous avons une totale confiance permet de travailler, d’entraîner cette intelligence pratique, cette lucidité, cette souplesse, ce courage. La réflexion et les discussions, la Bible et la philosophie sont également des éléments de ce travail, pour peu que l’on accepte de se fatiguer un peu à complexifier notre pensée, à l’affiner, à l’éprouver face au réel et face à Dieu.

Jésus nous encourage ici à être philosophe. Avec la mise en garde comprise dans cette expression « soyez intelligents comme le serpent », nous disant à mon avis : réfléchissez un peu s’il vous plaît, seulement ne comptez pas sur la philosophie pour vous élever jusqu’au ciel, comme Adam et Ève désirant être l’égal de Dieu par ce chemin(Genèse 3:5). Non, la réflexion est un travail pour mieux gérer notre vie dans ce monde terrestre, c’est une sagesse au raz du sol, nourrie de poussière.

Aristote encourageait à cette sagacité qui nous permet de discerner à chaque instant le meilleur chemin pour aller vers le bien. Mais quel bien ? C’est ce que précise la sagesse, qui est une connaissance de l’idéal théorique. Ici Jésus aurait pu mettre la Torah, la Loi et les prophètes, ou l’Évangile comme figure de cet idéal vers lequel nous cherchons à avancer. Jésus de distingue d’Aristote sur ce 2nd point, il met la colombe à la place de la sagesse. C’est l’Esprit en nous qui parlera, c’est l’Esprit du Père qui sera pour nous une sagesse dynamique, vivante, qui soufflera au plus profond de notre conscience à l’instant où nous en aurons besoin(v 19-20). Et pour cela, nous dit Jésus, nous n’avons pas à nous préparer autrement qu’à faire confiance à Dieu, dans la non-inquiétude, nous dit Jésus.

Même pas peur ?

Cela me fait penser à un mot que j’ai entendu d’un conducteur de car sur une route de montagne bordée de précipices. Un passager effrayé lui demande : chauffeur, comment faites-vous pour ne pas avoir peur ? À quoi je l’ai entendu répondre avec un demi sourire sous sa moustache : pour ne pas avoir peur quand il y a trop de vide en bord de route, faites comme moi, fermez les yeux.

C’est une blague, bien sûr, sauf que parfois c’est ce que nous faisons car c’est un réflexe naturel, comme de fermer les yeux quand quelque chose va nous frapper. Jésus, lui, encourage à ouvrir les yeux avec la force que donne l’Esprit Saint : que cette colombe en nous soit « pure » ou « simple » disent certains ? Ce mot grec ἀκέραιος veut dire plutôt : « être en forme » (par exemple chez Flavius Josèphe). Comme notre confiance en Dieu quand elle est un petit peu nourrie, abreuvée, soignée. Dieu pourra alors faire le reste.

Amen.

Pour débattre sur cette proposition : c'est sur le blog.

Vous pouvez réagir en envoyant un mail au pasteur Marc Pernot

 

 

 

Lecture Biblique :

Évangile selon Matthieu 10:16-23

Jésus dit à ses disciples : Moi, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc avisés comme les serpents et purs comme les colombes. 17Gardez-vous des humains. En effet, ils vous livreront aux tribunaux et ils vous fouetteront dans leurs synagogues, 18vous serez menés, à cause de moi, devant des gouverneurs et devant des rois à porter un témoignage pour eux comme pour les païens. 19Mais quand on vous livrera, ne vous inquiétez ni de la manière dont vous parlerez ni de ce que vous direz. Ce que vous direz vous sera donné à ce moment même, 20car ce n'est pas vous qui parlerez, c'est l'Esprit de votre Père qui parlera en vous.

21 Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant. Les enfants se dresseront contre leurs parents et les feront mettre à mort. 22 Vous serez détestés de tous à cause de mon nom, et celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé.

23 Quand on vous persécutera dans cette ville-ci, fuyez dans une autre. Amen, je vous le dis : en effet, vous n'aurez pas achevé de parcourir les villes d'Israël avant que vienne le Fils de l'homme.